Alamo (The Alamo) de John Wayne - 1960
Ce film est en quelque sorte le "film d'une vie" de John Wayne, projet pharaonnique qui lui a pris des années, qui a pompé toute son énergie... et s'est terminé par un quasi-bide, si bien que personne ne s'y intéresse plus vraiment (les DVD existants sont honteux techniquement). C'est très injuste, car franchement on est là face à un peplum-western d'une grande puissance, qui sait admirablement méler la petite histoire à la Grande, l'intime à l'action, et qui plus est superbement mis en scène "à l'ancienne" par Wayne. On dit que Ford était plus que présent sur le plateau, ce n'est pas étonnant : Alamo n'aurait pas juré dans la filmographie du maître.
Voici donc narré un des épisodes les plus fameux de l'histoire américaine, un siège insensé, opéré par les forces armées de ces félons de Mexicains, et contre lequel a résisté une centaine de braves Texans désireux d'émanciper le Texas, au sein du minable Fort d'Alamo. A la tête de ces Américains au coeur noble, 3 symboles de l'Amérique : Travis, chef inflexible et impopulaire, mais juste et droit ; le mercenaire Jim Bowie, qui passe presque là par hasard ; et le vaillant Davy Crockett, archétype de l'aventurier rigolard et populaire. Ensemble, ils iront jusqu'au bout du sacrifice, au nom d'un idéal qu'on peut résumer par les mots habituels du cinéma conservateur de l'époque : courage, héroïsme, camaraderie, patrie, honnêteté, protection de la femme et allégeance au bourbon. Le sujet idéal pour Wayne , bien sûr, mais après tout le sujet idéal tout court : cet épisode permet au réalisateur de mêler en un seul flot les petites relations entre les personnages, les minuscules moments de bravoure personnels, les dialogues au coin d'une table de bistrot, et les grandes scènes de bataille, les chevaux explosant en l'air et les figurants tombant par rangées de 16. Le moins qu'on puisse dire est que le spectacle est total, tant dans les moments de calme et d'humour que dans ceux de pure bravoure.
Wayne s'intéresse à tous ses personnages, à la manière de Ford. Le film est choral, et contient une épaisseur humaine incroyable. Que ce soit les têtes d'affiche (Wayne lui-même, Widmark, Harvey) ou le plus petit des combattants du fort, tous ont leur moment de bravoure, leur petite ligne de dialogue, leur particularité. Certes, on va parfois au plus pressé (la troupe de Crockett est une bande d'alcoolos illettrés et facilement bernables, les rapports entre Bowie et Travis sentent la virilité facile), mais tout de même : au sein de l'énorme barnum de cette troupe, chacun trouve son mot à dire. Si bien que, dans l'épique dernière demi-heure, quand tout ce beau monde tombe tour à tour sous les baïonnettes mexicaines (oui, ça se termine mal), on se lamente à chaque cadavre. Les acteurs, catalogues de trognes là aussi déjà aperçues chez maître Ford, sont pour beaucoup dans cette patte humaine qui éclaire le film. Wayne choisit un angle de narration très efficace : nous faire raconter la chose par un second rôle, en l'occurrence un petit môme complètement fan de Davy Crockett, qui ratera l'essentiel (la bataille), mais dont le regard naïf ajoute encore à la chaleur de cette histoire. Face au groupe de rebelles, les troupes mexicaines, anonymes, rangées dans un ordre impeccable (contraste avec le joyeux bordel de nos Texans), sont un danger implacable, et Wayne parvient à rendre visible le poids de la fatalité : on sait dès le départ que tous vont mourir, et ils vont à la mort en rigolant.
Le film n'est pas dénué d'humour, un humour purement ricain et assez brut de décoffrage, mais un humour quand même. Les scènes de beuverie, la gouaille des compagnons de Crockett, les ruses entreprises pour voler du bétail ou saboter un canon, tout ça est assez fun et raconté dans la légèreté. Mais quand il faut envoyer le lyrisme, Wayne est on ne peut plus présent : grandeur des séquences où les soldats disent adieu à leurs épouses dignes, par exemple, filmées dans la lenteur, avec une majesté puissante ; profonde attention à toutes les scènes où les personnages doivent prendre des décisions importantes, où on nous fait comprendre comment ce groupe d'hommes court à la mort ; très beaux moments de camaraderie virile entre Crockett et Bowie, et donc entre ces deux vieux briscards de Wayne et Widmark, dans un duel où chacun laisse la place à l'autre (les deux sont excellents) ; beaux moments aussi entre Wayne et la petite Linda Cristal, toute mimi dans sa timidité. Le tout est filmé sous l'implacable soleil du Texas, cadré dans de somptueux plans larges qui inscrivent les personnages dans le contexte avec force. Musique solennelle et ample, photo précise, décors magnifiques (ce fort qui s'apparente à une ruine d'église, défendu pathétiquement par ces hommes), sens aigu du rythme, vraiment c'est beau et bon. On regrette du coup que ce soit le seul essai de notre John Wayne derrière la caméra : voilà un vrai cinéaste classique comme on les aime.