Magic in the Moonlight de Woody Allen - 2014
Les voyages exotiques en Europe que se paye Woody depuis quelques films ne sont peut-être là, finalement, que pour cacher une profonde dépression. Jadis, le gars savait transformer son anxiété métaphysique en comédies pétillantes ; avec Magic in the Moonlight, on voit ce qu'il est advenu du système Woody aujourd'hui : malgré les ors des décors et la légèreté des trames, on voit poindre quelque chose de beaucoup plus grave qu'auparavant, une sorte de peur de la mort, de désabusement complet sur l'Humanité, beaucoup plus sérieux que dans les années 80/90.
Tous les thèmes alleniens, sont là, bien en place : la passion pour le spectacle et la magie, le pouvoir de l'amour, le personnage masculin cynique qui revient de son cynisme, etc. On a même droit à un remake de la scène de l'orage de Manhattan, ici dans un "observatoire désaffecté" (mais dont toutes les lampes sont allumées, sans un brin de poussière et en parfait état de fonctionnement), signe peut-être d'un certain piétinement dans les inspirations quand il s'agit de rapprocher deux êtres amoureux. On est en terrain connu, donc, y compris dans cette vision carte postale du paysage, la Côte d'Azur ici : la mer est bleue comme dans un manga, la lumière est jaune et les filles sont belles, il ne manque plus que l'inscription "Gros poutous de Cassis" pour compléter le tableau. Que ce soit Rome, Barcelone, Paris ou les calanques du Sud, Woody ne se force pas, recopie les pages de Géo et s'en trouve très bien. Il s'est adjoint pour ce faire les services de Darius Khondji, dont le talent n'est plus à prouver ; pourtant, le compère rate complètement sa photo : lumière incohérente, filtres laids qui rendent l'herbe fluo, tout paraît vieillot et poussiéreux dans ce film pourtant hyper-propre sur lui. Comme en plus, Woody fabrique une de ses mises en scène les moins inspirées, avec ces mouvements de caméra mochissimes (les travellings arrière à partir de gens qui descendent de voiture, les piteuses tentatives d'inscrire les personnages dans le décor naturel), avec ce montage chaotique (où est passé le brillant talent pour filmer les dialogues en mouvement, dans Alice ou dans Manhattan Murder Mystery par exemple ?), avec ces champs/contre-champs plats, on se dit que le désastre n'est pas loin, et qu'on a là un des plus médiocres Woody Allen au niveau technique. Même la musique sent le réchauffé, ces éternels disques de jazz qui ont déjà servi 10 fois dans les films passés du maître.
Heureusement, la chose est sauvée par ses acteurs, qui parviennent à donner de la chair à un scénario pourtant très gentillet. Excellent Colin Firth en star de la magie cynique et cartésien aux prises avec une mignonette Emma Stone (aux yeux gris fascinants) en vraie fausse medium ; et parfaite distribution également des seconds rôles, qui constituent une galerie de personnages amusants et énergiques à défaut d'être crédibles. Ils s'attaquent à un scénario très écrit (énormément de dialogues, très peu d'action), privé de ces bons mots qu'on attend (encore) chez Woody mais assez fin parfois. Il y est question de foi, de croyance à la magie de la vie, et finalement, par la bande, de métaphysique : peut-on encore croire à une part mystérieuse dans la vie ? tout n'est-il qu'un trucage ? Où chercher la magie ? Dans l'amour, nous répondra-t-on in extremis, on n'en attendait pas moins. Mais ce joli conte sentimental cache aussi un autoportrait désabusé : la confiance dans le cinéma, son pouvoir magique, sa faculté de faire rêver, sont un peu laminés sous les sarcasmes de ce personnage principal, un magicien revenu de tout comme Woody Allen peut être un cinéaste revenu de tout, qui ne croit pas à l'émerveillement de son métier, et qui pense que tout est affaire de mécanique. Quand il va découvrir son erreur, il traversera une période "mystique" avant de retomber lourdement sur ses pieds : il n'y a pas de magie, ni dans le spectacle ni dans l'amour (ni dans le cinéma, pourrait-on ajouter), tout n'est que non-sens et angoisse devant l'absence de Dieu. Le film dit ça sans le dire, en se cachant sous les costumes vintage et les jeunes filles en fleurs, ce qui n'est pas si mal. Qu'il le dise avec autant de masochisme et autant de baclage dans la forme est bien dommage pourtant. Un tout petit Woody sous anxyolitique, un peu génant au final.
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