LIVRE : Retour à Béziers de Didier Daeninckx - 2014
Pendant que Zemmour vend ses Bibles anti-homos à tour de bras, Didier Daeninckx, beaucoup plus modestement et discrètement, publie ce texte tout en pudeur et nostalgie, petit essai sociologique, petite chronique d'une ville qui part en couilles, petit témoignage engagé pour la diversité, tout ce que déteste le maire actuel de Béziers, en gros. Le gars adopte un ton légèrement romanesque, mais on sent bien vite que la tramette (le retour dans la ville après 50 ans d'absence d'Houria, immigrée deuxième génération) ne va servir qu'à une chose : se balader le long des rues du Béziers de 2014, ville-fantôme au centre complètement déserté, abonnée à la petite délinquence, aux boutiques fermées et aux pitoyables fêtes du patrimoine, et faire le compte de ce qui a été gâché. Daeninckx ne s'attaque pas directement à Ménard : son texte se passe durant les élections municipales, et il lève aussi bien les yeux au ciel devant les excès racistes et populistes de celui-ci que devant les coup-bas internes des socialistes ou l'incompténce de l'extrême-gauche (son camp, pourtant). Si Béziers est devenue ce qu'elle est devenue, il le sait, c'est à cause du maire précédent, qui a laissé tout pourrir, qui a ouvert des énormes centres commerciaux de périphérie, qui n'a pas su mettre en valeur son patrimoine, etc. Mais subtilement, en montrant ces habitants gagnés par un racisme ordinaire qui n'a plus peur de s'avouer, en décrivant les tactiques poujadistes de Ménard, en montrant comment les communautés gitanes ou maghrébines font le jeu des fachos, il dessine un futur assez affreux à la ville. Et le fait est que quelques mois plus tard, on constate qu'il a bien raison.
Mais le livre n'est pas qu'une touchante tentative de s'élever contre la droitisation d'une ville jadis communiste, jadis vivante, jadis belle. Il est aussi une promenade vraiment bien écrite dans les quartiers de Béziers, et pas seulement les plus touristiques. Daeninckx aime regarder les friches, les quartiers pauvres, les banlieues ternes, tendance héritée du polar sans doute. Il s'attriste certes de voir Béziers s'enfoncer ainsi dans le médiocre, mais il retrouve aussi, ça et là, sur les traces de son Houria, quelques traits de beauté ; dans les lieux, mais aussi dans les gens, pas tous complètement lepénisés, pas tous complètement cons. Certains continuent de se battre, de protester, et le livre les montre, sans angélisme mais sans misérabilisme non plus. L'écriture simple et fluide accompagne cet effort d'humanisme, cette épure et cette justesse dans la façon de regarder les choses. Ce livre ne renversera sûrement pas le sinistre clown assis sur le trône à l'heure où j'écris ce texte, mais il mettra au moins un petit coup de pied aux crétins qui l'ont mis au pouvoir. Nécessaire, donc.