LIVRE : Ecoute le Chant du Vent de Haruki Murakami - 1979
Toute première œuvre de Murakami et premier volet de la fameuse trilogie du rat (suivront Pinball 1973 (sur ma table de chevet virtuelle) et La Course au Mouton sauvage - et éventuellement Danse, danse, danse…). Il y a dans ce premier jet un peu bancal - on passe d’un chapitre à un autre sans toujours repérer le fil rouge du bazar - déjà un petit ton murakamiesque (oui, on ne peut s’empêcher de voir ici ou là des traces de l’œuvre à venir) : ainsi ces dialogues assez légers entre un jeune homme et une jeune femme (deux cœurs solitaires qui ont peur de s’imposer dans la vie de l’autre), cette franche amitié entre deux jeunes hommes scellée à grands coups de bière (ça picole et ça fume sec…), ces digressions (l’histoire spatio-temporelle sur Mars…) et ces comparaisons, ces évocations systématiques (Murakami semble obsédé par les éléphants et Kennedy…) quelque peu farfelues. Le fil narratif est par trop décousu, disais-je, pour qu’on s’immerge totalement dans l’univers murakamien ; on apprécie tout de même déjà chez le gars ce regard plein de naïveté (on n'est jamais loin de Salinger… « où est passé le doigt broyé dans le moteur de l’aspirateur de la jeune fille ? » semblant faire écho à la disparition de certains canards en hiver à Central Park…), ces petites envolées sans prétention sur le sens (ou le non-sens) de la vie, cette passion pour la musique ricaine (California Dreaaaaaam) et le base-ball, ces événements tragicomiqes (l’accident de voiture, le corps de cette jeune femme sans vie ramassée dans un bar et le petit matin qui s’en suit… lorsqu’elle se retrouve nue avec notre héros). Aux origines de Murakami quand il tâtonnait encore… (Shang - 15/10/14)
Les critiques dézinguent actuellement ce roman qui vient d'être traduit en français, ils ont bien tort. Comme mon gars Shang, je trouve qu'il y a indéniablement du charme dans cette oeuvre des débuts, justement dans ce côté un peu errant, un peu jazzy, un peu bluesy de la construction. Comme ses chers jazzmen, Murakami aime les ruptures de ton, les décrochages, les impros et les solos qui interviennent en pleine mélodie. Ici, il y a tellement de décrochages et de digressions que le thème principal s'efface peu à peu, mais justement : c'est ce qui fait le charme insaisissable du roman. On a l'impression de prendre sans cesse des chemins de traverse, d'être toujours au bord d'un mystère qui nous dépasse... ce qui, bien entendu, reste la marque de l'auteur jusqu'à aujourd'hui. Murakami sait toujours mettre en valeur un tout petit détail qui nous aurait échappé, et qui, justement par sa mise en lumière, ouvre sur un monde parallèle, surprenant, étrange, dangereux malgré la grande douceur du style. Il y a déjà là, en germe, toutes les thématiques du gars, tous ses motifs, mais aussi pas mal de son écriture future : partir du quotidien, avec des phrases courtes et simples, et les faire sans prévenir vriller très légèrement pour que ce quotidien devienne absurde ou intrigant. Murakami explique dans la préface qu'il a d'abord écrit en anglais, langue qu'il connaît assez mal, puis retraduit en japonais : c'est peut-être pour ça qu'il parvient à ce style extraordinairement simple et basique, limpide et presque enfantin, tout en brassant, dans le fond, des choses assez sombres (la fin des amitiés, l'envie de tout quitter, la solitude). Un très joli moment, loin des grands livres du gars, certes, mais déjà personnel à mort. (Gols - 30/01/16)