LIVRE : L'incolore Tsukuru Tazaki et ses Années de Pèlerinage (Shikisai o motanai Tazaki Tsukuru to...) d'Haruki Murakami - 2014
Un ptit Murakami pour la rentrée, ça fait toujours plaisir. Généralement. On a tout de même beau adorer le gars, s'être laissé prendre la plupart du temps à ses intrigues alambiquées ou ses histoires d'amour douces-amères, avouons que cet incolore Tsuruku Tazaki n'a que peu de saveur... L'histoire, pour faire rapide, d'un petit Caliméro qui aime les gares mais qui n'a pas eu beaucoup de chance dans la vie avec ses congénères : alors même qu'il formait une super bande de potes avec quatre autres de ses camarades, il s'est fait soudainement exclure pour des raisons alors, de lui, inconnues ... Il fait la rencontre plus tard d'un pote, à l'université, qui disparaît du jour au lendemain... La trentaine venue, il rencontre enfin une femme, qu'il aime, mais vous allez voir qu'elle risque de lui être infidèle, pauvre choupinou incolore... et un peu insipide. Tsuruku, pour tenter de combler ce terrible vide existentiel qu'il ressent parfois confusément en lui (la psychologie des personnages murakamiens est toujours un peu floue - parfois, on s'y engouffre avec plaisir, là on reste un peu à quai), va partir à la recherche de ses quatre anciens camarades. Pour comprendre. At last. Il aura un choc (Murakami comme Modiano aime à soulever des lièvres... en les laissant souvent courir au loin, mais là, il y aura quand même une réponse claire) et sa petite coquille de se fendiller un peu plus. Tsuruku verra-t-il un jour le bout du tunnel (ferroviaire) ?
Un roman de gare (jeu de mot ohoh) ? Murakami, une fois n'est pas coutume, peine à vraiment nous entraîner dans le tourbillon de son récit. Il part dans deux trois délires qu'il se plaît à laisser en suspend (le type qui voit l'aura colorée des gens - mouarf), se plaît à nous reparler douze fois de la même chose (sur un bouquin de 500 pages, je ne dis pas, mais là, d'un chapitre sur l'autre, revenir en détails sur tel ou tel événement, reprendre en entier telle ou telle parole, c'est un peu ennuyant - previously on 24... mouais ça va, on n'a pas une mémoire en forme de passoire, malgré le rhum et la bière) et l'ensemble finit par paraître, ça me fait un peu mal mais c'est ainsi, terriblement superficiel. L'histoire d'un ptit gars pas bien dans sa peau mais qui veut croire que, lui aussi, il a droit à l'amour, non mais... Quand il va pas bien sinon, quand il veut laisser errer son esprit, il regarde les trains ou écoute en boucle une mélodie de Liszt (Années de Pèlerinage, ceci explique en partie cela). Bien. Et ? On pense que le roman va prendre enfin son envol avec une petite parenthèse en terre finlandaise... que nenni, Murakami est là encore bien paresseux pour nous dresser un tableau vivant et original de la chose. Il y a bien, comme toujours, de petites comparaisons qui se veulent diablement savoureuses, au détour d'une fin de paragraphe, mais elles tombent souvent un peu à plat, semblent un peu téléphonées pour faire genre... Cet incolore Tsuruku ne nous laissera décidément, j'en ai bien peur, guère de traces. Tant pis. (Shang - 07/09/14)
Oui, un peu sévère, le sensei Shang, sur le coup. D'accord, on est assez loin des grands livres du maître, mais on n'est pas si loin de ses oeuvres les plus sentimentales (pas ma veine préférée chez Murakami, certes), par exemple La Ballade de l'impossible ou Les Amants du Spoutnik, ce me semble. Parenthèse dans le cours de ses romans fantastico-onirico-zen, celui-ci doit être pris tel quel : comme une petite forme, comme le simple portrait d'un homme. Un homme d'ailleurs très emblématique de pratiquement tous les personnages masculins du gars : sans aspérités, banal, "incolore" donc. Murakami aime traiter ce genre de personnage ordinaire et le plonger dans l'extraordinaire. Mais ici, pas de licorne ou de double lune, simplement un mini-drame qui a laissé au centre du bonhomme un trou glacé : se sentir abandonné par son clan, par sa jeunesse aussi. Sujet intéressant, trouve-je.
Il est exact que le traitement n'est pas génial. Notons une nouvelle fois cette traduction très faible, Hélène Morita a encore sévi avec sa grammaire hésitante (deux filles ne peuvent pas respectivement s'appeler machine et truc) et ses formules bancales ; mais elle n'est pas la seule responsable, et comme le note Shang, les répétitions ou les détails futiles sont trop nombreux pour ne pas être remarqués. On sait exactement combien le gars prend de sucres dans son café avant de parler, par exemple. Si cette poésie du quotidien fonctionne parfois, elle sert souvent un peu à remplir des pages pour arriver à faire un bouquin. On aurait apprécié cette histoire en nouvelle, tiens, insérée dans un de ces précieux recueils que pond Murakami parfois ; là, c'est vrai que c'est un poil long et stagnant.
Mais tout de même, j'ai trouvé que la petite musique murakamienne fonctionnait encore à plein d'endroits, dans cette douce mélancolie notamment, accompagnée par les notes de Liszt (Murakami et la musique : un sujet de thèse) et les petits picotements du coeur de notre héros. L'auteur a le sens des détails qui restent en tête (ces scènes à la piscine, par exemple, ou cet homme qui crache par terre à un moment complètement incongru). C'est pas grand-chose, mais l'atmosphère y est, et même cet agréable suspense, purement sentimental encore une fois, qui nous fait tenir le bouquin sans le lâcher. Ca ne se veut pas profond, et les soucis du héros ne sont pas si terribles, mais c'est juste l'enregistrement dans la douceur de la fuite des jours ma bonn'dame, la description sans esclandre d'un minuscule destin ordinaire, avec ses joies et ses peines, genre, et c'est suffisamment touchant pour qu'on apprécie. Un petit Mura sera toujours un bon livre. (Gols - 11/09/14)