Children of the Beehive (Hachi no su no kodomotachi) (1948) de Hiroshi Shimizu
Chose promise, chose due avec ce retour à la filmographie d'un grand comparse d'Ozu, Hiroshi Shimizu. Children of the Beehive est l'histoire simple, road moviesque, d'une bande de gamins orphelins dans l'après-guerre nippon. Emmené par un soldat démobilisé qui n'a lui-même plus d'attache, notre dizaine de gamins traverse les villes (Hiroshima, qui semble avoir subi un sacré revers, Tokyo...) et sillonne la campagne à la recherche de petits boulots (de ramasseurs de sel à coupeurs de bois). L'occasion pour Shimizu de nous montrer aussi bien des villes dévastées que des paysages de toute beauté et de nous conter un pur récit de survie et d'amitié (précoce).
Shimizu, tout comme Ozu, a toujours été un très grand directeur de gamins. Comme il n'est pas non plus le dernier pour nous livrer des travellings mettant en valeur la nature (le lent travelling (le plan étant en plongée) sur des bambins courant sur un chemin alors qu'un train arrive dans leur dos : une merveille) et pour nous servir une musique délicieusement entraînante ou mélancolique à mort, ce Children of the Beehive est forcément en soi du nanan pour tout amateur de cinéma nippon de cette ère bénie. L'histoire, elle, pourrait paraître bien légère (les 400 coups de gamins toujours prêts à prendre la fuite - qu’il s’agisse d’éviter les flics en ville ou, à la campagne, d’échapper à un taff trop hard) faisant surtout la part belle aux traits d'esprit des gamins (toujours diablement lucides) et à la complicité qui s'instaure entre eux (le gamin toujours au taquet pour filer une patate à un traîne-savate haut comme trois pommes). Mais on aura droit aussi, au cours du récit, à deux instants proprement déchirants qui te foudroient proprement le cœur (le mien, tout du moins).
Il y a tout d'abord la scène avec un gamin qui se met soudain à courir sur la plage (...), s'approche de la mer et crie "mère" - en français, c'est un peu téléphoné. On a appris quelque temps auparavant que sa mère était morte noyée lors d'une traversée en bateau ; ses petits camarades expliquent à l’adulte qui les accompagne qu'il ne peut s'empêcher de lancer cet appel chaque fois que les vagues le rappelle à ce triste souvenir. Sur le coup, j'ai perdu un premier bras. Mais le pire est à venir. Sur la fin, le même bambin est malade et demande à l'un de ses pote de le prendre sur son dos jusqu'à un sommet (de là, que verra-t-on ? Hum, hum, c'est pas compliqué...) : la séquence dure trois heures (le film dure 85 minutes, je rassure les moins courageux) mais passe comme une fulgurance ; on suit cette longue marche jusqu'au sommet presque dans sa longueur, Shimizu multipliant les angles de prise de vue pour nous montrer tout la difficulté de la chose. On s'attend à une grande délivrance une fois que le petit couple sera parvenu au sommet. C’est là que j'ai perdu l'autre bras. Shimizu te met un coup de semonce sur la tête tout en ayant l’air de ne pas y toucher. La scène qui suit avec les "excuses" d'un bambin prend tout autant les tripes, le tragique et la spontanéité comique du gamin se mêlant magiquement ensemble. Une véritable marche en avant pour la survie… Il y a heureusement un très joli rayon d'optimisme sur la fin avec le retour à l'école de notre petite troupe ; elle est accueillie par une foule de gamins en liesse et l'on sent que l'espoir reste permis dans ce Japon à reconstruire. Un bien beau film sur la jeunesse, ses peines, ses joies...