Bouge pas, meurs, ressuscite (Zamri, umri, voskresni!) (1990) de Vitali Kanevski
Ce film n'est pas un hommage à la tragédie de Ferguson, soit dit en passant et en intro. Voilà 24 ans (je fais plus jeune heureusement) que j'avais vu le film en salle et je ne me rappelais pas en fait d'une telle violence. Avec ma petite gueule d'ado et mes cheveux au vent, j'avais dû être surtout charmé par cette sympathique amourette entre Valerka et Galia (pas la peine de revenir sur le fait que la direction d’acteurs, des jeunes et des moins jeunes, est tout simplement ébouriffante), une amourette, disais-je, au milieu de la gadoue, de la merdouille, des joncs et de la brume. C'est certes un des seuls aspects lumineux dans ce monde ruskof de bruts. Parce que mon Dieu, ou plutôt mon Staline et mon Lénine, ça cogne à tout va. Entre gamins (l'histoire des patins à glace), les adultes frappant les gamins (l'histoire du voleur, le chauffeur du train se défoulant sur Valerka...), entre adultes (le vol du bijoutier - qui reste sur le carreau -, la baston dans la salle de bal avec les deux culs-de-jatte qui restent à terre ainsi que trois béquille...). La moindre occasion semble servir de défouloir comme s'il s'agissait de bastonner pour oublier pour un temps cette terre d'exil.
Complicité entre gamins, violence à tous les coins, la vitalité du film de Vitali se trouve dans ce constant oscillement entre rires et coups : la caméra traque les 400 coups de ce jeune personnage avec une facilité monstrueuse et l'on est rapidement englouti dans cet univers cruel du bout du monde, dans cette terre totalement oubliée par l'humanité sous le regard éternellement stoïque du camarade Staline. C'est la toute la "beauté" de ce film, si j'ose dire, de rendre vivant, à l'image de ce gamin plein d'énergie, cet univers de mort-vivants. Kanevski nous emmène à travers ce paysage de brouillard, de fumées des cheminées ou des trains, à travers ce terrain boueux, spongieux, ces mares de merde sans nous laisser jamais en rade dans cet enfer du gris. On sort à chaque coup du sort de cette mouise en collant aux basques de ce jeune héros pour un périple qui va nous mener le long des rails… jusqu'à une éventuelle voie de garage. C'est lorsqu'on sent que la vie est belle, que tout n'est pas si terne, que l'amitié peut tout sauver que l'enfoiré de Kanevski nous assène un ultime coup sur la tête qui nous laisse le nez planté pour toujours dans les gravillons sibériens...
Bien content d'avoir revu la chose car ce film demeure un réel tour de force qui n'a perdu en rien de sa jeunesse, de sa force, de sa grandeur à filmer les petites choses, le malheur, la vie. On est à la fois passionné par les diverses aventures de Valerka et stupéfié par le monde menaçant qui l'entoure. Même si le gamin est malin, même s'il sait prendre au besoin ses jambes à son cou, il n'est jamais à l'abri d'un regard scrutateur (qu'il s'agisse de l'effrayant homme au chapeau ou de la chouette effraie) qui pourrait le pétrifier à jamais. Il semble malgré tout toujours capable de s’en sortir miraculeusement jusqu'au moment où il n'y aura plus de miracles... La Sibérie, quoi, comme d'autres évoqueraient l'escalade (...) ou la fatalité. Caméra d'or 1990 amplement méritée qui malheureusement ne fera pas beaucoup de petits (très vague souvenir ceci dit d'Une Vie indépendante qui n'avait pas, si je ne m'abuse, la même fougue). A ressusciter, forcément.