La première Balle tue (The fastest Gun alive) (1956) de Russell Rouse
On revient aux affaires cinématographiques avec un western troussé par l'ami Russell Rouse qui nous avait épaté en 1952 (j'étais pas vieux) avec le fameux The Thief. C'est Glenn Ford qui s'y colle dans le rôle du héros avec un lourd passé : quel(s) secret(s) cache notre homme alors qu'il tente de refaire sa vie avec la charmante Jeanne Crain (si elle est enceinte, ce n’est pas plus d'un jour - ou alors le corset a déjà étranglé le bébé) dans une petite ville en tant qu'épicier ? On sait qu'il dégaine plus vite que Rocco Sifredi, qu'il a des suées telles qu'il ne peut être qu'un ancien alcoolique (je dis ça, je dis rien) et que dès qu'on parle de "tueur" ou de "duel" son regard devient affreusement hagard. On sent que ça lui pèse, au coco, et qu'il va bien falloir un jour qu'il crève l'abcès... Parallèlement, on suit le chemin du goguenard Broderick Crawford qui écume chaque village, soit pour descendre le type qui prétend être "the fastest gun alive", soit pour piller une banque - tu le vois débarquer, tu sais tout de suite que ce sera le bordel. Broderick a la gueule des mauvais jours - doit pas sucer que des glaçons, lui non plus, entre deux plans - et tire sur tout ce qui bouge. Avec son gros bide et ses yeux qui pleurent le whisky, il n’a pourtant pas vraiment la silhouette de Lucky Luke mais personne n'a assez de cran pour aller lui dire en face. Le passé de Ford devrait bien finir par remonter à la surface et l'on ne doute pas une seconde qu'il devra finir par se confronter au gros Crawford. Russell déroule tranquille son scénar sans gras jusqu'à ce palpitant duel.
D'un côté un Crawford qui fonce tête baissée, qui ne doute point et qui décroche la timbale à chaque fois (il te braque une banque avec la même décontraction qu'il aurait en allant chercher des sucettes pour sa fille), de l'autre un Glenn qui tremble, qui transpire et qui ne parierait lui-même pas deux kopecks sur son avenir. Pourtant le gars n'est pas un branquignole : tu lui jettes deux pièces d'un dollar en l'air, il te les troue façon passoire ; tu lâches inopinément une chope de bière à bout de bras, il te l'explose façon puzzle (c'est bêta de gâcher de la bière, j'en conviens, mais l'exercice fait son effet). Seulement voilà, il a truc au fond de sa tronche qui le bloque. La Crain a beau lui couler des regards rassurants à la Sophia Loren, notre homme panique à la moindre occase. Il lui faudra pourtant bien répondre présent à l'heure H. Ou pas.
Rouse n'est pas un manchot même dans les séquences "d'exposition" : en deux coups de cuillère à pot - première séquence - on comprend que Crawford n'est pas un rigolo. Il fait le malin, mais ce sont les autres qui tombent irrémédiablement dans le ravin. Très plaisante aussi cette façon de nous présenter la joie et la bonne humeur de la petite cité où habite Ford : en filmant la danse errolflynnesque (le type bondit à chaque coin de la pièce, faisant usage de chaque corde qui pend du plafond, comme un pirate à l'abordage) de Russ Tamblyn, on perçoit en une séquence tout l'esprit à la coule de cette paisible cité. Tout va donc pour le mieux chez ces tranquilles habitants... sauf chez Glenn Ford qui refuse de participer à quelconque danse ; c'est d'ailleurs tout le paradoxe de la chose : le seul type qui semble représenter une menace potentielle dans cette cité de Teletubbies est celui qui se montre le moins confiant, le plus nerveux… Il devra tout de même finir par prendre ses responsabilités face à cette communauté de gens de bonne volonté - il y a bien un ptit moustachu un poil hargneux qui le titille mais il ne pèse pas bien lourd. Ce sera bien au Glenn de tirer le cinquième penalty - dédicace spéciale Gols qui ne vit plus que pour Neymar (en étant certain qu’il sera bien le seul à ne pas savoir de qui il s’agit, ohohoh).
Rouse montre un indéniable savoir-faire pour construire la chose - belle dynamique dans la construction des séquences (joli duel final notamment avec le prédateur tournant autour de sa proie) - pouvant se reposer au besoin sur un casting irréprochable, qu'il s'agisse des premiers ou des seconds rôles. Glenn Ford est définitivement à la hauteur et Rouse un très bon artisan.