La Jalousie (2013) de Philippe Garrel
Bon, ayant baissé de trois points sur l'échelle golienne avec le Dolan, je me devais de réciter deux Je vous salue Marie (...) et trois Notre Père et de me taper un Garrel. C'est chose faite. C'est un joli film en noir blanc sur la jalousie et l'infidélité, deux thèmes assez rarement traités dans le cinéma d'auteur contemporain parisien (Quoi ? j'ai encore rien dit !). Dès la séquence d'ouverture, on est en terrain connu avec une femme qui pleure sur son lit. On vient de la quitter, forcément, ça peine et ça fait mal. On retrouvera dans la seconde partie une autre femme qui pleure sur son lit. Elle, c'est surtout qu'elle se sent à l'étroit dans cette chambre de bonne, on connaît. Une femme, parfois, souvent, ça a besoin d'espace... Plus tard ce sera le coeur d'un homme qui pleurera sur un lit d'hôpital. C'est beau et triste à la fois, c'est limpide et un brin futile, c'est du pur Garrel musicalement soutenu par du Aubert (tendance auteuriste, décidément, sur ses vieux jours).
Alors oui, non, je ne peux pas dire que je n'aime pas, tant je suis au fait, pour ne pas dire au jus, de cet éternel cinéma français sur les blessures sentimentales comme une Nouvelle Vague qui n'en finirait jamais d'écumer. C'est juste que, allons, c'est déjà tellement déjà vu (ces acteurs qui font la moue pendant 88 % du film - c'est un pourcentage digne d'une possession de balle du Barça), tellement déjà balisé, attendu, que parfois on en pleurerait. Oui, j'aime beaucoup l'ami Louis Garrel, j'aime cette scène pleine de légèreté dans un parc quand Anna Mouglalis vole une sucette pour la fille de Louis, j'aime aussi ce flirt tout tactile en salle de cinoche, j'aime encore cette rupture sur la fin sèche comme la justice du diable (on m'aurait quitté ainsi, je crois que j'en aurais bouffé trois cintres sans arrêter de geindre) mais, mais, sinon, quand même, soyons honnête deux minutes, c'est terriblement fastidieux et affreusement sérieux, ce bazar. On a constamment l'impression que les personnages sont sous la menace d'un Tchernobyl et que s'ils ont le malheur d'être heureux ou de raconter une blague, voire de rire à pleines dents, un sniper va les descendre... Certes, le personnage de Louis est amoureux fou et deux fois ses yeux brillent quand il serre sa belle dans ses bras. Mais sinon. A supposer que je ne connaisse point la vie et que ce film m'en montre les aléas et les turpitudes... Je refuse illico de venir au monde. Le monde ne se réduit quand même pas à deux apparts où il fait froid, un café, trois rues froides et un parc. Oui Garrel filme l'intime (on enlève les Garrel au générique et il ne resterait plus qu'un plan vide sur une bouche de métro), je dis pas, c'est un créneau, mais bon sang de bois, la vie, là tout autour, elle bouillonne, elle surprend, elle emporte, elle respire. Non putain, la vie n'est pas aussi étroite qu'un studio sous les toits. La gaieté est un mot qui fait encore partie du dictionnaire, non ? Je ne condamne pas d'un bloc tout le cinéma de Garrel, mais franchement, on aurait parfois envie que le type s'aère un peu les neurones, ouvre la fenêtre de son studio enfumé où il gît sur son lit en pensant uniquement aux histoires d'amour qui foirent... Un cinéma pour un cercle amené à se rétrécir ? J'en ai parfois un peu peur sans vraiment que cela m'émeuve des masses... So sad and grey... (Shang - 09/05/14)
Shang n'a plus qu'un oeil, je lui pardonnerai donc de n'avoir vu qu'une moitié de ce beau film de Garrel, malheureusement celle qui lui a gâché le plaisir. Je dirai même que je ne vois pas du tout de quoi il veut parler en invoquant des gens qui tirent la gueule et des plans qui ne quittent pas les appartements enfumés : il me semble qu'on est là face à un des films les plus "aérés", les plus lumineux, les plus légers, les plus apaisés de son auteur. Après on a le droit de penser que la vie n'est pas une chienne et que les histoires d'amour finissent bien parfois, ça c'est l'optimisme forcené de mon camarade ; mais de là à dire que le film passe à côté de la vie, je m'insurge.
La vie, elle bat dans chaque plan du film, qui, sur un mode mineur, prend le temps de s'arrêter sur des paquets de cacahuètes partagés, des sucettes volées en douce, des blagues de copains, des petites dragouilles au cinéma (et la joie que ça procure quand la fille se laisse faire, on dirait du Truffaut), des déclarations d'amour fougueuses. Garrel continue à croire en la beauté de la vie, même après la palanquée de films grisâtres des années 90 (qui, ceux-là, pouvaient mériter les foudres de mon compère), et la filme dans une lumière d'une grande douceur : sa façon, par exemple, de filmer son fils avec sa petite fille, ou de faire se répondre deux scènes sur la filiation possible, avec les deux vieux qui transmettent des paroles ou des livres, est d'une grande douceur. C'est à la fois pudique, très intime et universel. On ne peut que se reconnaître dans la simplicité du trait, alors que Garrel ne fait que filmer sa famille, en un acte qui ne devient jamais narcissique pour autant. Complètement du côté de la beauté des choses pour une fois (ce en quoi la musique d'Aubert et le noir et blanc vif de Willy Kurant l'aident beaucoup), il nous propose un portrait presque apaisé des relations humaines, se concentrant sur la joliesse des rapports avec l'enfant plutôt que sur la douleur des séparations. Certes, ça parle aussi d'un garçon qui quitte une femme, puis se fait jeter à son tour, de la souffrance, de la mauvaise foi ; mais on dirait que c'est presque secondaire. Le couple formé par Louis Garrel et Anna Mouglalis (la seule fille qui peut déclencher une érection rien qu'en disant bonjour) est simple, sain, normal, loin des personnages hystériques qui peuvent gaver dans le cinéma du gars. Ce qui lui arrive, le renoncement à ses choix de jeunesse, le désamour, la brutalité, l'envie de continuer à flirter et à désirer, arrive à tout le monde, et c'est très beau. C'est un film mineur de Garrel, l'équivalent d'une fugue en musique, mais qui ne prétend pas plus que ça : enregistrer son fils et sa fille sur un scénario inspiré de son père, et nous donner ce film de vacances à éprouver comme une caresse mélancolique. (Gols - 14/05/14)
Garrel énerve ou énerve, ou touche aussi, là