Tel Père, tel Fils (Soshite chichi ni naru) (2013) de Hirokazu Kore-eda
Le lundi, c'est sushi... L'idée de départ de La Vie est un long Fleuve tranquille, oui, Kore-eda étant un réalisateur absolument aux antipodes de notre Etienne, Etienne : point de caricatures bêtasses mais du tact, oui du tact, point de surcharge visuelle pubesque mais une cinématographie propre et apaisée, point de personnages hurlant ou vociférant mais des êtres dont la douleur est toute intérieure, point de grosseu Komédie mais un drame tout en douceur. Bref, si le pitch est casse gueule tant le potentiel sentimentalo-dramatique peut sembler gagné d'avance (pas facile d'échanger son gamin avec une autre famille au bout de six ans : on finit toujours par s'attacher), il faut être un véritable maître nippon pour être capable de réaliser sur le thème une oeuvre d'équilibriste. Kore-eda relève joliment le gant.
La première bonne idée est d'avoir un personnage central aussi successfull (la réussite au Japon, c'est pas rien) qu'antipathique (Monsieur travaille, Monsieur gagne de l'argent, Monsieur a des oeillères : concentré sur sa carrière, sa femme et son gamin n'existent que lorsqu'il daigne, quelques minutes par jour, poser sur eux son regard). Dès que notre homme prend vraiment conscience de l'horreur de la chose (perdre son gamin... ne pas avoir élevé la chair de sa chair...), il tente de trancher dans le gras : tenter de trouver un accord financier avec l'autre famille pour garder... les deux gamins. Parce que dans son monde, tout s'achète, tout se gagne, tout s'arrange tel qu'il l'entend, tel qu'il l'a planifié, tel qu'il le veut... C'est un fait, c'est juste oublier de prendre en compte la petite part d'humanité qu'ont tous les gens qui gravitent autour de lui. Tel Père, tel Fils sera en un sens le long processus d'humanisation de ce père qui vit dans son petit univers virtuel, dans ses schémas joués d'avance.
On aime chez Kore-eda ces personnages tout en pudeur, en discrétion, en émotion cachée (les deux mères de famille dont le "hug" prendra des allures de tsunami émotionnel - je pleure ceci dit des deux yeux toutes les cinq minutes, bien difficile ensuite de démêler les larmes médicales des sentimentales...), ces personnages gentiment farfelus (l'autre père de famille), ces gamins qui ne tentent jamais de trop la ramener, de faire le show. Kore-eda nous prend par la main pour nous faire croire à son conte moderne en faisant apparaître progressivement tous les fils secrets (un fil, des fils...) liant parents et enfant - le plan sur les fils électriques sur la fin est simple et limpide. En évitant la plupart des pièges tire-larmes, Kore-eda réalise un film d'une étonnante légèreté sur un sujet qui pouvait très vite devenir plombant. Définitivement de la bien belle ouvrage avec un petit parfum ozuesque (la séquence "pluri-familiale" au bord de la rivière). Mardi, c'est sashimi.