LIVRE : Le Garçon incassable de Florence Seyvos - 2013

Agréable livre tout de finesse et de tendresse. Seyvos tresse habilement, et sans jamais les faire se rencontrer réellement, deux portraits : d'une part celui de Buster Keaton, garçon incassable mais malmené, qui servira de projectile dans les spectacles de music-hall de papa, se pètera tous les membres devant les caméras et finira en génie oublié rongé de timidité ; d'autre part celui de Henri, demi-frère de la narratrice, garçon cassé, handicapé mental et physique, mais qui aborde l'existence avec une saine innocence et une constante frontalité. Seyvos ne nous dévoilera jamais ce qui unit ces deux existences fêlées ; et pourtant ça "fait sens", comme on dit, ça apparaît peu à peu comme une évidence que ces deux destins communiquent l'un avec l'autre. Le pont entre les deux, c'est l'auteur elle-même, en tout cas l'écriture, qui regarde ces êtres avec un amour éclatant, un intérêt de chaque seconde. L'auteur excelle à mettre à jour les petites anecdotes pleines de sens : le petit gars capable d'attendre une journée dans la file du cinéma pour voir Titanic, parce qu'il a peur de s'imposer, ou Keaton qui se fait dévorer par sa belle-famille et qui s'en fout. Des petits faits, regardés avec une acuité très vive et en même temps un certain relâchement très agréable dans le style, qui sont dix fois plus parlants que n'importe quelle psychologie de bazar. Le roman reste mystérieux, en garde sous le pied en quelque sorte, ne fait pas dans le lyrisme ou les grandes envolées. Mais c'est justement son charme que de rester à la bonne distance, à la fois dans et hors des choses, à la fois bavard et taiseux. Un livre modeste mais envoûtant.

Comments

[Gols]

Merci encore une fois à Mélanie, puisque je viens de lire "Nanouk et moi" qui est effectivement super touchant. Ah ces pages sur la photo en tant que témoin de la lumière reflétée par les êtres... Un vrai livre de cinéma, finalement, qui témoigne de la mélancolie qu'il y a à regarder bouger des êtres morts depuis longtemps. Je n'écrirai pas de texte sur ce livre (si je faisais aussi la littérature enfants et la BD, je m'en sortirais plus), mais je conseille à mort ce livre à tout le monde.

[Melanie Daniels]

Ah oui! Pochée! Quelle merveille , ça aussi !

[Tororo]

Ah, Seyvos. Si on se limite aux livres qu'elle a publié dans des collections pour grandes personnes, on rate quelque chose. Je recommande "Pochée", paru à l'École des loisirs.

[Gols]

Merci, Mélanie, je vais lire ça dès que possible. Je ne connaissais pas, personnellement, cette Florence Seyvos, mais ça me donne envie de lire le reste de son oeuvre, c'est sûr. Je viens de découvrir qu'elle était la traductrice de Tomi Ungerer, aussi, ce qui me la rend encore plus sympathique.

[Melanie Daniels]

Vous aimerez peut-être (et pour ma part je le trouve encore plus fort que le "Garçon incassable") son livre jeunesse très court, très pur, intitulé "Nanouk et moi". L'histoire de la détresse d'un petit garçon (de nos jours) qui apprend, après avoir vu le docu de Flaherty, que l'eskimo Nanouk est mort de faim dans l'Arctique 2 ans après avoir été le héros du film... Là aussi, Seyvos relie, modestement, donc magnifiquement, des existences à 80 ans d'intervalle.