A l'Ombre de la République de Stéphane Mercurio - 2011
Stéphane Mercurio réalise un documentaire tout en questionnements et en douleurs non-dites, grâce à un sujet en or : elle est parvenue à obtenir l'autorisation de suivre une équipe du Contrôle Général des Lieux de Privation de Liberté, en gros des empêcheurs d'enfermer en rond chargés d'écouter les prisonniers et de rendre compte des problèmes divers de la prison pour que soient respectés les Droits de l'Homme. On suit donc ces braves gens dans des endroits peu vus, cellules de 2 mètres-carrés, cellules d'isolement, cours de promenade aussi gaies qu'un terrain vague du 9-3, etc. à l'écoute de ces gens et de leurs malheurs quotidiens. C'est assez édifiant, et sous la trivialité des soucis a priori banals (le gars qui a pas eu son dessert à midi, le directeur qui couche avec une des prisonnières, ce genre de choses) perce un portrait très peu reluisant des conditions de détention aujourd'hui. On ressent avec beaucoup de force un des grands problèmes de la prison : l'isolement complet, c'est-à-dire que quand un gars en prend pour 20 ans, tout le monde l'oublie, il est comme rayé corps et bien de la société, abandonné de tous. Un constat effrayant qui passe avec beaucoup de pudeur : à l'instar de ces contrôleurs vraiment impeccables de professionnalisme et de finesse, Mercurio sait écouter, et ressent visiblement beaucoup d'empathie pour ces laissés-pour-compte abandonnés dans les culs de basse-fosse de l'Etat. Quand le film sort de ce quotidien épouvantablement triste et qu'il se fait plus nettement politique, il y gagne en puissance : la très belle séquence où un groupe de prisonniers laisse éclater sa colère au grand jour ("ils font de nous des fauves") vous saisit vraiment aux tripes.
On peut reprocher au film d'être un peu maladroit techniquement, et d'être trop empêtré dans ses contraintes techniques pour vraiment arriver à "être du cinéma". Obligée de laisser les protagonistes hors-champ pour des questions de respect de l'image, Mercurio ne sait plus trop quoi filmer dans ces longs monologues : elle choisit la plupart du temps de rester sur celui qui écoute, et ce n'est pas une option très heureuse. Elle oriente trop notre opinion, en nous imposant une réaction, elle fait perdre de l'objectivité, et donc de l'intelligence, au propos. La forme du film est un peu plate, pour tout dire. C'est tout à fait excusable, puisque le but principal n'est pas de nous en mettre plein les mirettes mais de nous faire écouter cette parole ; mais du coup, ça manque un chouille de technique. Filmer une parole n'est pas un acte anodin techniquement parlant, et Mercurio ne s'est peut-être pas assez posé la question, ou en tout cas n'a pas eu la possibilité d'y réfléchir vraiment. Tant pis : tel quel, son doc est prenant, plein de tourments et d'interrogations, et a le mérite de nous faire entendre des voix que plus personne n'écoute. Infiniment respectable, donc.