LIVRE : Underground d'Haruki Murakami - 1997
Il en va de l'intérêt des livres de Murakami comme du sac et du ressac de la mer (je m'essaye à la poésie ces jours-ci) : ça va ça vient. Après 1Q84 qui nous a quand même bien tenu en haleine malgré ses faiblesses, voici un nouveau pavé assez nettement moins bon, publié bien avant par le maître nippon, et qui tranche avec sa production habituelle. Il s'agit d'un documentaire, veine qui ne lui réussit guère si on en croit sa tentative précédente (Autoportrait de l'auteur en coureur de fond, si on peut appeler ça un documentaire). Les thématiques murakamiennes sont bien là pourtant : la violence du monde contemporain opposée à la culture zen et tranquille (en surface) du Japon, l'attirance pour les mondes parallèles et les personnages en marge, la spiritualité, le quotidien brisé par des évènements extraordinaires, etc. Très sérieusement, avec une objectivité et une obsession pour la vérité qui l'honore, le compère revient sur la fameuse attaque au gaz sarin dans le métro tokyoite, orchestrée par la secte Aum en 1995, et qui a fait pas mal de morts et des centaines de blessés dont les séquelles se font encore sentir. Première partie : les victimes, qui décrivent toutes très précisément leurs actes, leurs impressions, leurs souffrances, leur ressenti aujourd'hui sur ce crime ; 2ème partie : les membres ou ex-membres de la secte, qui racontent leur parcours, leurs adhésions et leurs réserves vis-à-vis du gourou, et leurs opinions sur l'attaque. La rigueur du documentaire ne fait aucun doute, et il est indéniable que Murakami trouve exactement sa place dans ce processus pas simple à gérer : il retranscrit, point, avec le plus de précision possible, sans commenter. Seules quelques questions posées aux membres de la secte attestent de sa perplexité, et parfois de son ressentiment, envers le flou des discours ésotériques des interviewés.
Mais cette objectivité, justement, finit par produire un objet froid, très répétitif, trop maîtrisé. On ne voit certes pas comment il aurait pu aborder les choses autrement ; mais le fait est que la succession de témoignages, souvent identiques, finit par créer une sensation de routine. C'est l'effet contraire à celui visé : on s'ennuie, c'est dur à dire mais c'est comme ça. Ne cédant jamais à la sensiblerie, Murakami s'efforce, et c'est bien, d'être juste, vrai, simple, sans céder aux idées reçues. Mais on aurait aimé trouver là-dedans la patte du maître, alors qu'on n'a qu'une suite de documents enregistrés sans style. Seules quelques pages, où Murakami donne un peu plus son opinion, rappellent qu'il est écrivain ; les autres ont l'apparence de minutes de procès plates, malgré la force de l'évènement. Mura a voulu montrer en quoi la violence peut surgir sous le "lisse" du Japon, et comment le pays n'était absolument pas préparé à une telle attaque ; il échoue en partie, ne parvenant qu'à restituer des paroles intéressantes mais insuffisantes. Bel effort quand même.