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24 septembre 2012

La Mort d'Empedocle (Der Tod des Empedokles) de Jean-Marie Straub & Danièle Huillet - 1986

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Passer 2h15 avec les Straub et Hölderlin est un plaisir des sens, je vous le confirme, même si on peut préférer un paquet de Tagada, voire même un coup de pied dans les parties. Ceci dit, voilà un film qui vous donne au moins la satisfaction de faire partie de l'élite intellectuelle à l'avoir vu sans hurler de rire, ce qui est mon cas ; j'ai même pris un certain plaisir, mais oui, à suivre cette tragédie romantique sur fond d'arbres frémissants, et cette oeuvre fait partie des meilleures du couple infernal. Il s'agit donc de la vie trépidante d'Empedocle, philosophe si mythique qu'on le soupçonne de frayer directement avec les Dieux. La population, aussi craintive qu'agacée par le statut du gars, décide de le chasser de la cité, alors qu'Empedocle a fait énormément pour son émancipation, et a même sauvé une de ses enfants. Il emmène avec lui un fidèle disciple et erre dans la forêt. Quand le peuple, rempli de remords, vient le supplier de revenir, le gars refuse et part dans un monologue à rallonge pour glorifier le suicide, le choix de son destin et les envoyer paître comme il faut. Voilà pour l'histoire.

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Bon, bien sûr, ce qui compte ici, c'est beaucoup plus le comment que le pourquoi : les Straub, en passionnés de la langue, filment les longs discours virtuoses de Hölderlin avec une rigueur qui leur fait honneur. Plans fixes aux cadres hyper-rigoureux, direction d'acteurs entre lyrisme et récitation, découpage des vers millimétré (et les sous-titres comme toujours quasi-incompréhensibles de Huillet rendent pour cette fois justice au découpage très musical du texte), montage très précis : pas un poil de graisse pour mieux nous laisser entendre ce style franchement insensé aux sonorités envoûtantes. On se fout à peu près de ce qui est raconté ; mais on apprécie franchement cette rythmique hypnotique mise en place aussi bien au niveau sonore que visuelle, la mise en scène étant seulement au service de l'écriture. Les acteurs, presque jamais en déplacement, sont dirigés pourtant vers une certaine mobilité : la position des regards, les simples et rares gestes des bras, leur façon de parler ou d'écouter (il y a là-dedans une science du champ/contre-champ et du hors-cadre qui force le respect, toute une gamme de variations dans le système du "qui regarde qui, qui écoute qui") suffisent à définir leur caractère, leur statut. Quant aux voix, elles sont elles aussi dirigées très musicalement, à la manière d'un opéra : ça roule les "r" façon tonnerre, ça tombe dans les voix de basse façon baryton, et on a l'impression que les comédiens ont été choisis plus pour leur voix que pour leur corps (étrange acteur pourtant qui joue le jeune disciple, grand nigaud qui zozotte à mort).

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Et puis il y a la nature, bien sûr, comme souvent personnage principal du bazar : ici, c'est la forêt, les sous-bois, les jardins quasi-sauvages, et le volcan en fond (Empedocle va s'y jeter, suicide qui ne manque pas de panache). Le "suspense" du film vient bien plus des infimes variations de la lumière ou des minuscules mouvements des branches que de l'intrigue elle-même, et les Straub réussissent un de leurs plus beaux portraits de nature. Le long monologue lyrique d'Empedocle, dans la dernière partie, se fait hors-champ, avec un très long plan large sur le paysage et la lumière qui change sur les arbres, le soleil qui passe derrière les nuages, les bruits naturels qui se font entendre derrière la voix : grand moment d'exaltation straubienne. La caméra s'attarde très souvent, une fois les acteurs sortis du cadre, sur la verte nature, et les réalisateurs ont vraiment l'oeil pour placer leurs acteurs dans le cadre, au sein de "l'univers" disons, dans un ballet très élaboré d'entrées et de sorties, dans une rigueur mathématique mais jamais limitée. D'autre part, je vous annonce le retour du petit lézard (le lézard est un feuilleton dans l'oeuvre des Straub depuis qu'il rentrât dans le champ lors d'une scène d'Antigone) pas prévu dans la scène de l'adieu des apôtres, ce qui justifie la vision de ce film. Très très chiant, hein, bien sûr, c'est du Straub, mais avec un peu d'effort, quand même, on est récompensé.

Tout Straub et tout Huillet, ô douleur : cliquez

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