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25 avril 2025

La Soif du Mal (Touch of Evil) (1958) d’Orson Welles

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A l’approche de la 5000ème shangolienne, on fait dans le « lourd » qu’il s’agisse de ce plan séquence d’anthologie en ouverture (je l’ai démonté image par image au moins quarante-cinq fois avec mes anciens étudiants chinois, je vais po y revenir, sinon en deux lignes : j’adore la phrase de la blonde dans la voiture « I’ve got this tincking noise in my head » qu’elle répète à l’envi et dont tout le monde se fout - elle est blonde, normal que cela sonne creux dans sa ptite tête et personne ne l’écoute ; j’apprécie tout autant cette voiture contenant la bombe à retardement qui ne cesse de se rapprocher d’individus (les flics en particulier…) ou de troupeaux d’animaux voire d’objets (la baraque ambulante) faisant à chaque fois pressentir un plus gros carnage avec cette caméra qui ne cesse de partir en travelling arrière comme pour pouvoir filmer l’ensemble de l’explosion… tant d’attente pour un gros boum… hors-champs - je ferme la parenthèse) ou du gars Orson qui semble prendre un malin plaisir à jouer les grosses pourritures en décomposition. L’intrigue de Touch of Evil tiendrait sur un confetti : un richissime entrepreneur américain est assassiné et il ne faut guère attendre pour savoir dans quelle direction il faut chercher le coupable (qui avouera ou non, ce n’est pas vraiment le problème). Welles semble prendre un malin plaisir à partir dans des chemins de traverse, à exhumer des personnages de cartoon (un motel, perdu au milieu de nulle part et tenu par un jeune type parkinsonien, pris d’assaut par une bande de jeunes à la dérive, une vieille tenancière-cartomancienne qui a connu de meilleurs passes (Marlène, diétrichissime, tout en faux cils et en lèvres peinturlurées), un mafieux ridicule à la moumoute amovible, une aveugle toute en oreille…) comme pour tenter de noyer le poisson, de compliquer à outrance cette trame de pacotille, l’essentiel étant of course ailleurs.

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Sur le fond, on assiste à un combat entre deux écoles : la vieille incarnée par Quinlan (Welles), toute en intuition et en coups fourrés, qui flirte aussi bien avec la vérité qu’avec le gouffre, une méthode à la papa souvent peu reluisante mais qui va droit à l’essentiel et donne des résultats probants; la moderne incarnée par Vargas (Heston), propre sur elle et droite dans ses bottes, qui se donne le temps pour juger mais passe parfois à côté de l’essentiel (Vargas incapable de s’occuper de sa femme, cible de tous les dangers), une méthode « bien sous tous rapports» pas forcément si efficace… Il faudra attendre l’une des toutes dernières séquences (Vargas traquant littéralement les aveux de Quinlan) pour voir celui-là se « compromettre » (utiliser un micro caché), se « mouiller » (véritable parcours du combattant de Vargas qui passe notamment sous un pont pour récolter avec son appareil à antenne les propos de Quinlan) pour réussir à faire « plonger » celui-ci.. Il faut parfois se salir les mains pour faire éclater la vérité, le problème de celles de Quinlan c’est que même avec des gants, elles restent souillées - le bougre sera d’ailleurs trahi par… sa canne.

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Welles livre l’une de ses compositions les plus glauques, faisant corps avec ce commissaire mal rasé, louche, décati, obèse, presque fier de se voir peu à peu tomber en ruines : ce que l’alcool a commencé, le chocolat l’a continué avant que l’alcool le parachève. Depuis le meurtre de sa femme par étranglement, l’individu Quinlan est psychologiquement atteint (il connaissait le meurtrier qu’il n’a pas été capable en son temps d’arrêter) et il glisse depuis ce temps, physiquement et moralement (il plante lui-même les preuves pour confondre les (présumés) coupables) sur la mauvaise pente… Face à lui, Vargas et sa femme (Heston, la fine moustache du beau gosse et Janet Leigh, une silhouette de rêve) incarnent le petit couple trop parfait, trop pure non pas « pour être honnête » mais « pour ne pas mettre les autres sur les nerfs » : ils connaîtront un petit avant-goût de la « perversion » (drogue (non réellement consommé), sexe (poreil…) and rock’n’roll) comme un véritable baptême de feu dans la vie…

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Il ne faut jamais dissocier le fond et la forme disait cette vieille fille, prof de lettres, que j’avais (cela valait aussi apparemment pour elle, aucun mâle n’ayant jamais chercher à voir son bon fond derrière son manque de forme) mais pour Welles, faisons une petite exception ; on pourrait multiplier les exemples sur l’usage claustrophobique et zarbi des contre-plongées, des plans décadrés, la beauté de ces mouvements de caméra au diapason de ces corps rarement statiques, cette utilisation wellesienne de la profondeur de champs, (avec un visage au premier plan ou avec différentes « strates » d’individus distribués dans une même pièce) ou simplement son art des gros plans « monstrueux » mais ce que j’admire par-dessus tout, c’est le fait de mettre souvent dans le même plan deux intrigues, deux trames en parallèle. Si le plan-séquence en ouverture est un cas d’école, on retrouve ensuite au cours du récit ce procédé (Vargas au premier plan allant téléphoner à sa femme pendant qu’au second un inspecteur amène en bagnole un mafieux, Vargas défilant à toute blinde dans les rues à la recherche de sa femme pendant que celle-ci est à l’agonie en haut des escaliers de secours d’un hôtel, celui-là ne voyant forcément point celle-ci,…) faisant qu’au final que même s’il on perd de vue la trame, il s’agit visuellement toujours d’un régal. Toujours bon de revenir étancher sa soif - cinématographique - au fond du well(es).  (Shang - 21/09/12)

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C'est un vrai bonheur que de revoir ce classique des classiques dans la version voulue par Welles (ou prétendue telle, en tout cas). Quelle que soit la version, on reste épaté par cette science incroyable de la mise en scène : chaque plan de Touch of Evil est pensé pour être le plus spectaculaire possible, et montre une gourmandise intarissable de cinéma de la part de Welles : on sent que le gars aime le cinéma, aime la technique, aime le show, depuis son maquillage en flic obèse (un goût du maquillage sûrement issu du théâtre) jusqu'à cette grammaire de réalisation qui passe par tout ce qu'elle est capable d'offrir : la profondeur de champ, qui est LA figure favorite du sieur est complétée par des travellings fabuleux, des gros plans diaboliques ou des plans alambiqués, pris à travers une corniche ou en contre-plongée vertigineuse. Loin d'être un catalogue de trucs, cette virtuosité fait entrer le film dans un cadre baroque, fait penser parfois aux grandes œuvres de l’expressionnisme, se met en tout cas toujours au service des personnages et de la trame. Welles densifie ses dialogues, ses situations, par cette mise en scène excessive, pour augmenter ici un effet de peur, là un détail glauque, ailleurs un trait de visage ou un caractère déviant. Les yeux sont sans cesse émerveillés par cette profusion de propositions toutes intelligentes, toutes gonflées, toutes géniales. Prenez n'importe quel photogramme du film : il est impressionnant de maîtrise, dans le cadre, dans le placement des acteurs dedans, dans la lumière, dans l'angle de caméra choisi.

Welles est définitivement le cinéaste de la séquence, sachant comme personne donner toute sa puissance, tout son potentiel à chacune d'elles. On vérifie à nouveau avec ce film (après ses films shakespeariens, après Lady of Shanghai, et même après Citizen Kane) qu'il n'est pas celui de la globalité. Touch of Evil manque de cohésion, autant dans son montage très hésitant que dans sa mise en scène (ce pour quoi cette fameuse première séquence est si parfaite : sans montage au sens strict, elle est du coup parfaitement fluide). Welles abuse ici et possède assez mal le montage parallèle. Le défaut se fait particulièrement sentir dans toute la partie centrale, où les personnages sont séparés et où il s'efforce de raconter leur histoire simultanément. La partie qui se passe au motel avec Janet Leigh, qui pourrait être tendue comme un film d'horreur, passe comme une petite brise sans importance à cause du montage : le suspense est sans cesse brisé par la changement de lieu et en revenant aux histoires moins passionnantes de Quinlan ou de Vargas, il pète le rythme interne de cette séquence de meurtre qui menace la jeune femme. D'autre part, Welles a du mal avec la vision globale de son film (c'est peut-être dû aux conditions difficiles de fabrication du film, mais n'empêche) : les personnages semblent passer d'un lieu à un autre en quelques secondes, et l'ensemble manque cruellement de cohésion. Placés ainsi dans un monde rendu irréaliste, privé de logique physique, on n'est jamais en empathie avec les personnages, rendus sans âme ou très symboliques par cette abstraction du contexte. Touch of Evil est un polar noir, qui travaille jusqu'à plus soif les codes du genre, les rend tellement saillants qu'ils en deviennent de pures formes, et sacrifie du coup la vraisemblance de la trame, l’épaisseur des personnages, voire toute logique dans le déroulé de l'histoire. Est-ce une qualité (abstraction du genre, objet purement cinématographique, fétichiste) ou un défaut (on se fout des personnages et du scénario) ?

Pour continuer sur cette lancée, remarquez que les personnages très marqués (Quinlan, Dietrich, Oncle Joe) sont passionnants, alors que les plus neutres (Vargas et sa femme) sont complètement sacrifiés par le film. Tout ce qui n'est pas spectaculaire indiffère Welles, il n'aime que les à-côtés de la trame, se moque de qui fait quoi (on ne sait pas vraiment, d’ailleurs, en fin de compte, qui a placé cette bombe dans le coffre de la voiture), préfère creuser l'aspect baroque que résoudre son histoire ; les personnages "tièdes" ne le concernant pas. Seule exception : le bras droit de Quinlan (Joseph Calleia), pour le coup caractère inoubliable et formidablement fouillé, conscient de l'horreur du personnage de celui qu'il sert, mais en même temps attiré par lui, presque plus par un sentiment de père à enfant finalement que par un sentiment homosexuel. Ce personnage, peut-être tiré des pièces shakespeariennes tant aimées par Welles, est une de ses plus grandes créations, un homme profondément émouvant et profond. Bref, revoir ce film est une obligation : ses qualités et ses défauts en font le film le plus excitant du cinéma.  (Gols - 25/04/25)

 

Commentaires
M
... et pas un mot, PAS UN, sur la musique ? Rien ? Nada ? <br /> Une des plus délirantes de Mancini, pourtant. <br /> Sans elle, ce film perdrait une grande part de son aspect de pur cauchemar.<br /> <br /> Et, pas vrai du tout, mais alors du tout, que le montage ("hésitant" soi-disant ?!... Non mais, d'où que vous sortez ça? Vous avez vu le film?) empêcherait l'impression d'horreur dans les séquences du motel. <br /> Moi, ces scènes du motel, elles me terrifient encore et toujours. Ce montage staccato, au rythme du mambo de Mancini, ne fait, bien au contraire, que serrer, resserrer, la tension. <br /> Du pur cauchemar, puisqu'on vous dit.
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