LIVRE : Une Semaine de Vacances de Christine Angot - 2012
J'ai beau ne pas aimer Angot (pourquoi ? ses poses médiatiques m'énervent, alors que je connais mal ses livres, je l'avoue), je suis obligé de reconnaître que son nouvel opus nombriliste marque des points. Je continue à penser que ce n'est pas pour moi, mais j'admire le principe même du bouquin, et sa construction qui nous emmène dans des chemins bien troubles. La dame y raconte tout simplement une longue scène sexuelle : pendant cette "semaine de vacances", elle ne fait pratiquement que baiser, ou plutôt se faire baiser par son amant. La description des positions, de chaque geste, est si précise que dans un premier temps, on ressent, mais oui, une certaine excitation (on est des hommes avant tout) devant ces pages qui pourtant, comporte quelque chose de sombre qu'on ne saurait définir. Peut-être parce que les deux protagonistes sont si différents : lui est un bavard, qui décrit chaque position minuitieusement, voire même compare les seins de cette maîtresse avec d'autres conquêtes ; elle est muette, asservie, véritable jouet aux mains du bonhomme.
Et puis tout à coup, par des détails curieux, on comprend ce qui ne va pas : elle est trop jeune, adolescente, et subitement le récit érotique dérive vers la pédophilie, et on débande sévère. Ce qui paraissait excitant devient clinique, et on comprend que le mutisme de la jeune fille est en fait une soumission douloureuse. D'autant que la pédophilie se change souvent en soupçon d'inceste (ce n'est jamais clairement écrit, et s'il n'y avait pas eu le précédent récit de Angot, L'Inceste, on ne pourrait pas être sûr qu'il s'agit bien de ça, même si le gars se fait appeler "papa" par la fille). Ce court texte devient alors un exorcisme de ces quelques jours, une façon de prendre la parole, mais une parole distancée, documentaire, pour tenter d'expulser les choses. Angot jongle justement merveilleusement entre objectivité du style et pure subjectivité du regard : il ne fait aucun doute que c'est d'elle qu'elle parle, malgré la troisième personne, malgré l'utilisation du présent. On assiste finalement à une parole en train de naître (magnifique dernière phrase où le verbe jaillit enfin), comme si ce viol avait été le déclencheur de la vocation d'écrivain, comme si le statut actuel de Angot n'était dû qu'à cette douleur primale-là. C'est vraiment beau.
Après, c'est sûr qu'on se demande un peu quelle est notre place là-dedans en tant que lecteur, ce qu'on est sensé tirer de ce livre mal aimable et manipulateur. On nous a emmenés là, on nous a excité puis presque fait honte de notre excitation, on nous a parlé de cet esclavagisme insupportable, et puis... On comprend l'importance d'écrire pour celle à qui tout cela est arrivé, on voit mal l'importance de le lire. L'écriture n'est pas particulièrement belle, on n'est pas vraiment ébranlé (les critiques qui hurlent que le roman est "sidérant" et "insoutenable" n'ont semble-t-il jamais lu un livre de leur vie), c'est un peu du trash pour les nuls, on n'a pas éprouvé grand-chose, on a juste regardé cette expérience se dérouler sous nos yeux, en tremblant pour cette pauvre petite. Un livre intéressant que je ne conseille à personne...