Zombie (Dawn of the Dead) de George A.Romero - 1978
Il doit rester peu de monde pour penser que Zombie est un film crétin, mais il est toujours bon d'enfoncer le clou : c'est sûrement LE film qui a fait comprendre, justement, que le genre n'était pas forcément synonyme d'idiotie, et qu'on pouvait dire des choses politiques fortes tout en arrachant des têtes ou en bouffant de la tripaille. Aujourd'hui, il faut bien l'avouer, c'est surtout par cet aspect anti-social que le film remporte la mise, beaucoup plus que par sa légendaire violence ; celle-ci est tellement cheap, on a tellement fait plus horrible depuis, qu'on se marre plutôt qu'autre chose devant ce sang rouge fluo, ces maquillages de "Tout pour la Fête" et ces corps en carton-pâte qui explosent dans tous les sens. Notons tout de même, pour continuer sur l'aspect purement gore de la chose qu'il y a encore de beaux restes : la scène où nos potes zombies dépècent un biker pour le bouffer (gros budget rognons), le plan fugitif où un gars se prend une machette en travers de la tronche, ou la séquence malaisante des enfants morts vivants qu'on dézingue sans vergogne, comportent encore leur part de soufre. L'esthétique cracra de l'ensemble, le montage et la musique souvent un peu amateurs, le jeu approximatif des acteurs, le rythme tout en rupture (la scène d'ouverture vous plonge dans le truc en trois secondes), ajoutent à cet aspect "bis", et il faut reconnaître que Zombie est encore diablement dérangeant grâce à tout ça, comme peut l'être Massacre à la Tronçonneuse, par exemple : des films punks, directs, qui traitent la grammaire cinématographique par-dessus la jambe pour mieux nous asséner, si possible à grands coups de gourdin, leur message politique.
Et le message politique passe donc sans problème, genre tomahawk. Ca commence avec une critique larvée de la télévision, se poursuit avec un troublant discours sur la ségrégation, puisque le premier vrai foyer des zombies se situe dans un immeuble crasseux rempli de pauvres Noirs (le massacre des flics sans pitié, qui dézingue aussi des vivants, rappelle les derniers plans de La Nuit des Morts-Vivants, dans cette façon très directe de montrer le manque de nuance du Blanc américain dès qu'il s'agit de faire la différence entre amis et ennemis de la patrie), et culmine avec toutes les scènes du supermarché. L'idée est géniale : les héros trouvent refuge dans l'antre de la consommation, et on se retrouve dans une configuration caustique à souhait. D'un côté, les zombies qui reprennent leurs habitudes de clients hagards fascinés par le luxe et l'abondance ; de l'autre les vivants, tout aussi fascinés, et se vautrant dans la consommation à outrance. La frontière entre les deux mondes est très floue (le maquillage de l'héroïne qui la rend aussi livide que les morts-vivants), et finit même par disparaître lors de l'attaque des bikers anars à la fin : les ennemis sont désignés clairement comme ceux qui veulent piller les rayons, qu'il s'agisse de boîtes de conserve ou de chair humaine. On n'est plus du tout, sur la fin, dans un combat entre morts et vivants, mais dans un combat entre possédants et désirants, et j'irai presque jusqu'à dire que Koltès n'est pas loin (presque, j'ai dit).
En tout cas, Romero obtient quelques plans fasci(s)nants, comme ceux où les zombies, prostrés, contemplent la poignée de nantis dévaliser le magasin en riant comme des mômes, ou comme ces splendides plans larges sur le parking du supermarché, où les zombies-clients errent des caddies à la main dans l'attente de l'ouverture des portes. Très vite, les instincts grégaires des humains reprennent le dessus, et ils éprouvent la même jubilation à se rouler dans le champagne qu'à butter des hommes et des femmes, dans une débauche de violence joyeuse (les zombies sont des cibles faciles, crétines et lentes). Il y a même une inspiration de jeu vidéo (oui, je sais, le film est de 1978, mais je dis ce que je veux) dans la variété poilante des identités zombiesques : on dézingue de la bonne soeur, de la jeune fille en fleur, du chef de bureau ou du bonze Hare-Krishna dans une infinité d'imagination, et avec des armes toujours renouvelées.. Zombie est en fait une vaste allégorie punkoïde sur la domination de l'homme par l'homme grâce à la possession et à la consommation, oui messieurs-dames, qui se pique en plus de nous donner une vision désespérée des rapports entre Blancs et Noirs, entre hommes et femmes, entre intellectuels et hommes d'action. En plus c'est vraiment fun, c'est cynique comme on aime, et ça développe un petit ton "no future" tout à fait délicieux. Un grand film, quoi, finalement. (Gols 08/08/12)
Plutôt que de filer des bonbons à ces cons de gamins déguisés en rideau, quoi de mieux en cette soirée de fin d'octobre que de se refaire ce film culte (ben si, dorénavant) sur grand écran. Je viens de relire la chronique de Gols et, grand Dieu, il en a dit l'essentiel. Oui les morts-vivant ont des gueules de Schtroumpfs, oui les effets spéciaux sont vintage, oui la société de consommation en prend pour son grade... Des zombies consommateurs totalement décérébrés qui marchent comme des culbutos, quatre héros qui se roulent dans la fange de la consommation, un groupe de bikers tout autant débiles et violents qui ne pensent au final qu'à posséder ("Pourquoi tu voles ça ?" "Ah oui putain, c'est vrai, c'est con")... Une belle bande de couillons. Ce qu'il faut pour survivre, c'est avoir, c'est posséder et à ce petit jeu, les plus dangereux, comme le rappelle lucidement l'un des héros, c'est sûrement ceux qui ne réfléchissent pas - Hanouna a retenu la leçon (nos amis zombies, donc, puis ces fous-furieux de bikers... mais nos héros, se montrent, au besoin, tout aussi navrants).
Deux petites choses sur lesquelles on peut insister : d'une part, le fait qu'on soit dans une société de la violence absolue où le mass murder est déjà évoqué comme un véritable danger sociétal ; il faut voir le plaisir de nos héros (une petite musique tribale (de mauvais goût) se fait entendre alors même que notre héros black s'arme dans l'armurerie comme avant de partir pour un safari... humain) puis celui des bikers à dévaliser ce magasin d'armes en tout genre : c'est, dans cette antre de la conso qu'est le mall, le divin paradis, l'endroit à dévaliser en priorité avec fougue et bonheur. On dézingue du mannequin ou du zombie avec le même petit rictus de satisfaction (une tête qui explose, c'est quand même assez rigolo, n'est-il ?) et les différents carnages qui auront lieu ne viendront jamais ternir cette soif de décanillage totale - en cela Romero est plus que visionnaire : malgré toutes les tueries de masse qui ont lieu chaque mois, chaque semaine (!?) aux USA, rien ne viendra jamais semble-t-il limiter la vente d'armes (quelques voix, parfois, pour dire que les armes d'assaut devraient tout de même être interdites... bouarf, puis non en fait, il faut bien se défendre, hein). L'autre aspect intéressant, également, en creux, (petit spoiler), c'est de voir que les deux représentants ici des "minorités" face aux blancs mâles tout puissant (le black, forcément, et la femme, (enceinte, qui plus est... c'est elle qui insistera pour qu'on la traite en égal, qu'on lui apprenne à tirer ou à piloter l'hélicoptère) seront finalement les seuls à tirer leur épingle du jeu ; ils ont les mêmes défauts souvent que leur comparse, ne sont pas du genre à se lancer plus que les autres dans la lecture, certes, mais, grâce à leur petite pointe de réflexion et au recul qu'ils opèrent sur les événements - l'habitude sûrement d'être "en marge" (les deux autres héros, le flic et le friqué sont quand même terriblement bas du front), on sent qu'ils ont un certain potentiel pour ne pas totalement sombrer et finir dans la masse... Romero, précurseur again... et terriblement pertinents. Bref, quitte à célébrer une fête consumériste à la con, autant se taper un film qui, sous ses atours de film trash de seconde zone au maquillage douteux, l'est beaucoup moins. Dans ton culte. (Shang 01/11/23)