Indiscret (Indiscreet) (1958) de Stanley Donen
Je suis un grand fan de Stanley Donen (Two for the Road notamment est un grand film trop méconnu) ; je suis un grand fan d’Ingrid Bergman, ne me demandez même pas pourquoi, déjà tout petit je pensais qu’elle m’attendrait pour se marier – cela s’est joué à peu finalement ; je suis un grand fan de Cary Grant, mais là franchement qui ne l’est pas. Bref, j’étais forcément encore perplexe il y a une centaine de minutes, à me demander comment j’avais pu jusque-là ne jamais voir cette œuvre. L’attente était donc là, ce qui met forcément toujours un peu plus de pression… Let’s go, so… Il ne faut po attendre bien longtemps pour que le regard de l’Ingrid (célibataire) croise celui du Cary (seul, le mot à son importance). Elle ne croyait plus, quelques secondes encore avant, à sa bonne étoile et voilà cet inconnu de Grant qui se retrouve sur le seuil de sa porte. Il ne faut pas être grand clerc pour deviner qu’ils vont tomber dans les bras l’un de l’autre dès la prochaine séquence – le premier soir, ça fait bitch de toute façon… Oh des obstacles, il pourrait y en avoir : elle est une actrice célèbre qui se sait observée, il est un homme marié, mais en cours de divorce, mais quand même marié et cela risque de forcément faire jaser ; elle habite à Londres, il va bosser à Paris pour l’ONU… Mais bon, ils s’aiment comme un colon et une colombe qui découvrent l’amour, elle, c’est la grande grande classe quand même, lui, c’est the class, il ferait un enfant qu’il faudrait créer une nouvelle religion, tout cela c’est la fatalité comme dirait un autre Gary – Romain. Toute la première heure est pleine de bon sentiment, de petits sourires complices, de mots tendres, de musique doucereuse, d’attention, de gentillesse, de bonheur brut, ce serait deux autres acteurs (au hasard Clovis Cornillac et Mathilde Seigner, même si le terme de « pongiste » serait peut-être plus juste à leur sujet que celui d’acteur mais ne jouons point sur les mots) que ce serait limite cucul, voire flirtant avec the « water-of-rose » spirit, mais c’est Grant et Bergman : même quand ils parlent de la pluie et du beau temps, ils sont intéressants, même quand ils prennent l’ascenseur côte-à-côte ou face-à-face, ne disant rien, ils ont l’air grands, beaux et intelligents, alors qu’on aurait dans la même posture simplement l’air couillon. Une heure de légèreté amoureuse romantiquissime, cela ne fait pas de mal, parfois, mais on reste un peu sur notre faim – et rien à voir avec le fait que je sois actuellement dans un pays en plein ramadan, croyez-le bien.
Heureusement, les esprits vont s’échauffer dans la dernière demi-heure. Bergman apprend qu’en fait le Cary n’a jamais été marié (il tient à rester bachelor…), et, piquée au vif, est bien décidée à lui faire payer cette véritable trahison… Le rendre jaloux, le faire sortir de ses gonds, voilà sa mission et elle prépare avec raffinement sa vengeance… qui se mange froide… Alors que l’Ingrid, grande actrice, garde la face, en attendant le « grand soir », le Cary pète le feu et se livre en passant à un petit numéro de danse mondaine dont il a secret et où il part totalement en vrille (irrésistible…). Fin de la romance – j’ai po dit de la chienlit, hein, restons courtois -, karibu (ça veut dire bienvenu en mohélien et ça se prononce comme du canadien - si ça, ce n’est pas étonnant) la comédie : nos deux légendes peuvent enfin faire éclater toute la palette de leur talent – timing des répliques, petit air sournois craquant, ton colérique décapant, coups bas, hauts faits… - c’est parti pour une dernière ligne droite où l’on se lâche, Bergman se montrant particulièrement à son aise à ce petit jeu de la colère maîtrisée et des sourires feints : elle ne cesse d’alterner le chaud et le froid pour tester la résistance de ce mâle si parfait, avant de lui préparer un ultime coup fumant de derrière les fagots dont il devrait se souvenir… Mortel. Donen est décidément un grand cinéaste du « sentiment amoureux », sachant aussi bien jongler avec l’aspect fleur bleue qu’avec le côté chardon des relations homme-femme ; comme les répliques s’enchaînent à la perfection et que la mise en scène est tellement parfaite qu’elle en est invisible (je me suis), cette dernière partie constitue un petit feu d’artifice comico-vachard jouissif... En un mot, on finit forcément envouté, après un long départ un peu paresseux… but so romantic…