Upstream de John Ford - 1927
Un film qu'on croyait perdu et qui a ressurgi il y a peu d'un grenier hollandais, signé par notre gars Ford, c'est forcément un évènement, surtout quand notre odyssée fordienne piétine sévèrement depuis quelques temps (mais avouez qu'elle a de la gueule). On se précipite donc allègrement sur ce muet qui nous raconte la petite vie quotidienne d'une bande d'artistes sans le sou qui loge dans une pension. Entre petites dragouilles, talents qui s'étiolent, petits contrats minables et répétitions du duo de claquettes, Ford croque gentiment le portrait de ces has-been pathétiques mais grandioses, qui compensent leur indigence économique par le panache : le vieux beau fait du pied à la jeune coquette sous la table, le lanceur de couteaux aime secrètement la gironde comédienne, c'est parfaitement croquignolet. La chance va tomber sur un des membres de cette communauté, et pas le plus glorieux, le fils à papa sans talent mais au nom prestigieux qui va être engagé à Londres pour jouer Hamlet : il y rencontrera la gloire, mais il reviendra avec les chevilles ça-comme avant d'être éjecté comme un malpropre par la petite bande qui ne le reconnaît plus. Ah ! les vices de la célébrité !
On ne peut pas dire que ce Ford-là soit dans les sommets du gars. Difficile de reconnaître sa patte, voire même une quelconque patte dans ce scénario très maladroit et ces saynètes sans consistance. Notons quand même que Ford réussit très bien tous les plans où la communauté est réunie. Il y a notamment un travelling vraiment audacieux, quand l'impresario de Londres vient chercher son artiste. Tous sont à table et tous croient être l'élu, et la caméra les filme un par un en train de se réjouir de l'aubaine ; du coup, la table est complètement oubliée au profit d'un travelling sur rails sans aucune logique d'espace mais absolument magnifique. Beaucoup aimé également ces successions de plans qui réunissent deux ou trois personnages, ayant tous leur petit intérêt, tous leur morceau de bifteack à jouer : on sait que Ford est et sera expert dans le filmage des petits groupes, on le voit encore une fois ici, avec la particularité, cette fois-ci, qu'il y a autant d'hommes que de femmes dans le groupe en question, et que c'est bien agréable (d'autant que la petite Nancy Nash est plus que craquante). Les acteurs sont inégaux, certes, tout comme les gags : si les deux Dupont & Dupont de service, dans leur numéro de duettistes, sont assez drôles (le gag de la pub "avant/après" est fameux, et ils jouent bien les mecs bourrés lors du punch de la fin), l'acteur principal (Earle Fox) est un peu terne dans le rôle certes malaisé de l'arriviste fât. La fin est foutue n'importe comment, et le message (il ne faut pas attrapper la grosse tête, c'est pas bien) semble bien simpliste. Mais ne serait-ce que pour la rareté de la chose, ce portrait de groupe très dynamique, et deux ou trois transparences tout à fait vintage, aimons ensemble, je vous prie, ce Upstream revenu d'entre les morts.
Ford à la chaîne : ici