Eyes Wide Shut (1999) de Stanley Kubrick
Œuvre ultime du lubrique Kubrick qu'il est toujours bon de remater pour se souvenir que les fantasmes, la tentation, le cinéma quoi, sont souvent plus bandants que la réalité. Po ici pour faire une thèse sur le bazar, juste pour énoncer deux trois idées que m'inspire la chose ; à mes yeux (ouverts... ou fermés), l'ami Bill (Cruise, plus lisse qu'un sabot artisanal et sur lequel Stanley, sans être mauvaise langue, semble parfois éviter sciemment de faire des contre-champs) titillé et enjalousé par sa femme qui lui avoue ses propres rêveries érotiques aura l'occasion de passer à l'action : femme éplorée venant de perdre son père et se jetant dans ses bras (Marie Richardson, po terrible, franchement), prostipute l'invitant gentiment chez elle, lolicéenne peut farouche venant se frotiller contre lui, monde partouzeur pour initiés ; Bill est tenté, toujours à deux doigts de passer à l'action sauf que... (sonnerie du réveil ? ou plutôt d'une porte ou d'un portable...), c'est une chose de vouloir passer de l'autre côté du rainbow, il est moins facile de parvenir à le traverser... A force de vouloir jouer avec Eros, notre héros frôle Thanatos et remet la/les partie/s (fine/s) au lendemain. Seulement voilà, après le monde de la tentation fantasmogorique, point la réalité, et celle-ci se révèle comme la chair beaucoup plus triste : partouzeuse overdosée, compagnon reprenant ses droits sur sa bourgeoise, prostipute hachivisée, teenage-girl vendue aux plus offrants (deux Japonais en quête de chair fraîche, mouais...). Notre mari est fort marri, le diabolique Pollack maître queue (tapis de billard de rouge, c'est un style) tente de le remettre dans le droit chemin en l'avisant que tout cela n'était que du "bluff", les masques tombent et notre ami Cruise de re-cruiser gentiment vers sa douce, retournant la queue entre les jambes vers ses croquettes Friskies. Eyes wide fuck, on connaît le fin mot de l'histoire.
Mise en scène kubrickienne élégantissime, musique symphonique taillée sur mesure ou notes dissonantes cauchemardesques, personnages bigger than reality (vieux séducteur hongrois, vendeur bourru, nippons burlesques, duo féminin de rêve, bande de jeunes orangemécanisés, desk boy ultra homosexualisé...), l'oeuvre passe comme dans un songe sur l'écran de nos petits fantasmes cinématographiques. Une vision du couple par le père Kubrick quelque peu étriquée, comme si le maître des illusions était revenu de tout, comme si la triste et banale réalité finissait toujours par prendre l'ascendant sur les rêves érotisés et la propre mise en scène de notre esprit. Le siècle des tentations lubriques se referme en beauté avec un arrière-goût amer. Incontournable, encore et toujours. (Shang - 19/06/12)
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Film décidément mystérieux, comme le sont parfois quelques chefs-d’œuvre, géniaux justement par leur côté crypté. Je l'ai vu au moins 4 ou 5 fois, et je me retrouve à la fin avec toujours la même béance : est-ce un pauvre catalogue de la psyché masculine, affiché avec morgue par un Kubrick revenu de toutes ses pulsions sexuelles ? Est-ce un portrait du mâle contemporain, tenté par toutes les expériences sexuelles, mais incapable d'endurer la pensée que sa femme puisse éprouver également la tentation ? Est-ce une variation sur le rêve, celui de Tom Cruise dans ce cas, la première partie étant son rêve, la deuxième son réveil (j'aime bien cette théorie) ? Est-ce l'observation moqueuse d'un couple bourgeois mis face à l'infini des possibilités érotiques ? Est-ce la fin d'un couple qui ne se désire plus, ou le début d'une seconde phase où, les expériences adolescentes passées, le sexe peut enfin devenir adulte ? Tout ça peut-être, et mille choses encore. Kubrick n'a peut-être même pas une idée exacte de ce qu'il est en train de raconter. C'est la beauté des grands films que d'avoir mille lectures possibles, qui changent en fonction de celui qui regarde.
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En tout cas, voilà un film vraiment hallucinant, qui se promène d'énigmes en labyrinthes dans une atmosphère à la fois inquiétante, tendue, comme en attente d'une catastrophe (ces lumières par en-dessous sur les personnages, LA marque de fabrique du compère, donne une impression démoniaque à tout le monde) et vaporeuse, comme si effectivement on se baladait dans un rêve (parfois un peu kitsch, mais c'est assumé). La simple confession alcoolisée de sa femme, qui avoue avoir fantasmé sur un capitaine de bateau (plus conformiste, tu meurs), est le départ d'une errance dans les fantasmes masculins les plus premier degré : partouze, putes, tromperie avec la femme d'un autre, Cruise traverse en une heure la psyché de son sexe. On est à la fois dans un truc légèrement excitant et dans une ambiance malsaine, torve, empreinte de mort. Ce que notre gars vérifiera dès le lendemain, une fois dessoulé, quand il refera le tour de tous ces "spots" sexuels : mort, maladie, meurtre, trivialité de la vente des corps, domination masculine, c'est pas gai. A chaque fois, Cruise est empêché de baiser, il ne passe jamais à l'acte ; et il faudra le dernier et sain mot de Kidman ("Il nous reste une chose à faire : fuck") pour que ces deux pauvres Américains moyens avec leurs fantasmes de Prisunic acceptent enfin de baiser sainement.
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Moraliste ? Peut-être un peu, surtout venant du réalisateur de Lolita. Mais le fait est que Eyes Wide Shut se regarde bouche bée sans que l'attention retombe une seule seconde. Comment fait-il pour rendre aussi sensorielle une simple scène de rue, pour densifier jusqu'au malaise complet la danse de Kidman avec son vieux beau au début, pour transcender le kitch d'une scène de partouze bourgeoise et en faire un rituel dérangeant, pour créer du malaise en ne filmant qu'un mec qui joue du piano ? C'est le grand mystère. On regarde ça les yeux grands ouverts, alors que Kubrick a filmé un rêve, rempli de pulsions sexuelles et de dangers mortels : c'est génial. (Gols - 05/02/25)
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