If.... (1968) de Lindsay Anderson
Ah qu'il est bon que certains films gardent intact ce sens de la rébellion sans lequel la vie semblerait bien plate - voilà un film couillu qui n'a point perdu de sa forme et de son fond dans ce monde si moutonnier qu'on nous propose (Chine, Angleterre ou France, on peut le dire : même combat, camarade, eheh). Voilà très longtemps que ce film m'échappait et bien belle idée, une nouvelle fois, de ressortir cette perle dans l'éternelle collection Criterion - si vous cherchez quelqu'un même pour faire le ménage, je signe).
Premier film de Malcolm McDowell qui préfigure son rôle de fou furieux dans Orange Mécanique : il a la part belle dans plusieurs séquences, ainsi cette magnifique scène de séduction sauvage avec la jeune fille où ils finissent carnassièrement enlacés sur le sol du café ; la scène lorsqu'il se prend neuf coups de fouet (on ne peut que les compter) et où il se relève les larmes aux yeux est également d'une grande intensité, d'une émotion telle qu'elle ne peut que présager le carnage de la fin. Si son personnage prend conscience d'être pris au piège comme le fœtus qu'il découvre dans l'armoire, dans le sous-sol du College, ce qui le poussera à une révolte finale ultra-violente (quand on voit en plus la couleur des chapeaux des vieilles rombières anglaises dans la cathédrale, il est clair qu'il s'agit un véritable appel au meurtre, et Dieu sait que je suis tolérant), il y a en parallèle l'évolution du jeune personnage de Jute qui rentre dans les rangs avec une facilité évidente. Si le rictus goguenard du Malcolm ne cesse d'irriter ses supérieurs, la politesse et le dévouement innocent de Jute ne lui attirent que bienveillance, petite chose facilement malléable et manipulable à souhait - le thème de l'homosexualité latente est traité d'ailleurs assez frontalement, ce qui devrait faire plaisir à notre amie Edith Cresson). Bref l'éducation à l'anglaise, en attendant The Wall ou le Sens de la Vie, en prend un certain coup derrière les oreilles et met en garde habilement contre tout respect de règles qui ne sont jamais qu'arbitraires - les quatre cadors en charge de la discipline n'auraient point dépareillé dans un camp de concentration. Enfin si le mélange de noir et blanc et de couleur n'est dû de prime abord qu'à des raisons de budget, il donne à cette œuvre une forme originale et bizarroïde, tout en permettant également un fort contraste entre les scènes à l'Eglise en noir et blanc et le carnage final en couleur - pas forcément d'effusion de sang mais une formidable énergie en action (oui c'est excessif, certes) qui illustre tout l'esprit de résistance des trois comparses.
"Aux armes citoyens! Formez vos..." Nan je déconne, je pensais juste à Sarko et à sa réforme sur l'Education. Ce serait cool quand même si les élèves devaient se lever quand le prof entre dans la classe! : si ce n'est pas de la poudre aux yeux, vous avouerez avec moi qu'il s'agit bien de la connerie en poudre. (Shang - 19/07/07)
En 2007, mon camarade était énervé, et il y avait bien des raisons de l'être ; aujourd'hui que tout s'est calmé et que nous vivons dans le meilleur des mondes possibles, j'avoue que la vision de If... m'a moins galvanisé que le Shang, même si je reconnais qu'il a maintes qualités indéniables. Splendide photo, qu'elle soit en couleurs ou en noir et blanc, acteurs impeccables (le sourire carnassier de Malcolm McDowell, brrr), très bon sens du contrepoint (les escapades loin du collège sont de belles récréations), symbolique habile, tout ça est bel et bon. A la manière de Elephant de Van Sant, Anderson repousse le plus tard possible le massacre qu'on sent inéluctable dès le départ ; compte moins la tuerie finale que ce qui l'a amenée, à savoir les brimades, la hiérarchie, l'impossibilité de sortir de son cercle social, la négation de la jeunesse, les castes, l'éducation, et j'en passe. Quand les fauves sont lâchés, ce n'est que dans les dernières minutes, et le générique final nous montre bien que tout ce qui suivra n'a aucune importance. Cet aspect très "politique" du film est réussi, et il sort sans problème de son ancrage historique (le bazar fut réalisé en 1968, et épouse les contestations du moment) pour élargir son discours à toute la révolte passée et à venir, constituant un vibrant plaidoyer pour la jeunesse et la rébellion. Beaucoup aimé également cette façon qu'a le film de nous montrer le système infernal de castes qui règne dans le collège : les adultes ne sont plus les seuls maîtres à bord, et sont même très souvent absents du champ ; ils sont remplacés, comme dans les camps allemands, par tout un réseau de "kapo", jeunes gens asservis à la domination des aînés et qui se transforment en petits chefs encore plus cruels que ceux-ci ; difficile, souvent, de savoir si le gamin qu'on voit à l'écran fait partie des dominés ou des dominants, tant la frontière est poreuse entre les deux. Là aussi, le fond politique prend tout son sens, et le discours se fait subtil, jamais manichéen. Même McDowell, dans sa rébellion tous azimuts, apparaît souvent dangereux et trouble, et on a du mal à être vraiment de son côté. Le seul, finalement, qui reste du début à la fin du côté du "bien", c'est ce petit nouveau qui vient ponctuer de temps en temps le film, petite victime discrète de ce système totalitaire effrayant.
Pourquoi n'adhère-je pas totalement, alors ? Je ne sais pas trop. Peut-être que le rythme est un peu trop erratique pour vraiment me convaincre ; le film est trop long ; une fois les choses en place, une fois qu'on a compris où Anderson voulait en venir, beaucoup de séquences semblent répétitives, inutiles. Tout comme l'est ce noir et blanc que je n'ai pas compris, et qui n'apporte rien à la chose. Anderson se laisse souvent fasciné par la beauté de ses décors et de ses acteurs, et laisse filmer sans vraie nécessité, multipliant les scènes très chorégraphiées de foules, les plans d'ensemble esthétisants, les "jolis cadres". Sur un tel sujet, j'aurais préféré un peu plus de crasse, dirais-je ; si le côté papier glacé fonctionne, il n'est pas suffisant pour tirer tout le soufre de ce qui est raconté. Certes, on sent les thématiques de l'homosexualité, et celle de la pédophilie, amorcée ça et là, mais de façon un peu frileuse, du bout des lèvres. Quitte à parler de révolte, je préfère effectivement The Wall, ou Elephant donc, que ce film un peu trop beau et un peu trop dans le rang. Je suis un peu dur, c'est vrai : on passe un bon moment d'indignation face à If... ; manque juste une louchette d’impuretés pour vraiment emporter le morceau. (Gols - 18/06/12)