L'Amant sans Visage (Nora Prentiss) (1947) de Vincent Sherman
On cogite dès le départ pour savoir comment on va pouvoir utiliser le subtil jeu de mot du titre et de l'héroïne principale (Ann Sheridan) : Nora Prentiss, apprentice, apprenti(e) en amour... D'accord, mais va-t-elle être l'élève ou la "maîtresse", voire les deux ?... On se pose la question pour la forme. Qu'en est-il alors de cette Ann ? Elle est chanteuse de cabaret (classique), va se faire renverser par une bagnole (ok) et va se retrouver allongée chez un séduisant docteur, Richard Talbot, incarné par le gars Kent Smith et sa petite moustache gablesque. Richard, mariée à une femme aussi drôle qu'une porte de prison turque, ayant deux enfants bien sous tout rapport, une vie réglée comme du papier à musique et chiante comme une pluie tropicale, va se voir titillé par les gambettes de cette dame au regard si doux. Elle ne cherche pas à jouer pas les coquettes par excès sachant qu'elle n'a guère d'illusion à se faire, lui fait mine de croire que leur relation ne peut être que purement amicale et bing !... dans le mille, après une soirée à danser, une journée à lambiner (Sheridan, dans la petite maison secondaire du Richard dans les montagnes, couchée telle une chatte sur un tapis brûlant devant la cheminée... Offerte, again ? Penses-tu...), vas-y que je te serre dans mes bras, oh tu m'as réveillé darling, oh et moi je t'aime mais ne fous pas ta vie en l'air pour moi... Ouais, c'est ça.
La trame de cette première heure est cousue de fil blanc et guère originale avouons-le. Comme la réalisation de Sherman n'atteint pas vraiment non plus des sommets, malgré toute la sympathie qu'on peut avoir pour les tourtereaux, on est po passionné, passionné... Il est grand temps qu'il y ait un ptit tournant dans l'histoire ; il arrive avec la mort de l'un des patients de Talbot, dans son propre bureau : une crise cardiaque dis donc (Sherman ne fait pas non plus dans la dentelle au niveau des métaphores filées sur la thématique du cœur : Sheridan chante pour les cœurs brisés, le docteur est un spécialiste des problèmes de cœur, oh ben c'était suffisamment de points communs pour pouvoir s'entendre ! Comme il n'a pas le courage de dire à sa femme et ses enfants qu'il veut les quitter, il a la bonne idée de se faire passer pour mort (mais bien sûr, Richard, cela va simplifier les choses...). Il met ce quidam dans sa bagnole, lui fait porter sa bague, fout le feu à la bagnole et la précipite au fond d'un ravin. Je suis mort, donc je suis libre et vais m'en aller vivre à New York (il habitait à San Francisco) avec ma douce. Sheridan, toute innocente, pense qu'il est en instance de divorce et comprend pourquoi au départ il n'ose pas trop sortir avec elle... Seulement après plusieurs semaines, c'est vite l'angoisse à vivre constamment cloîtrés... Si Sheridan va peu à peu réussir à refaire sa vie, Kent Smith va, lui, progressivement s'enfoncer dans la déprime : l'alcool, puis la jalousie, puis la violence... Talbot s'est transformé en Jaguar.
Belle transformation de Smith au cours du film, mais c'est bien à peu près tout ce qu'il y a d'un peu surprenant dans cette œuvre de Sherman ; même le petit twist sur la fin (Talbot se transforme "en homme invisible", bandé de pied en cape : cela fait toujours son petit effet dans un film noir) peine à vraiment venir épicer l'ensemble ; de plus, même si le final est d'une noirceur à pleurer - belle séquence in the mist -, on reste méchamment sur sa faim. Toujours un plaisir de retrouver Sheridan - en femme fatale malgré elle - qui n'a malheureusement ici pas grand-chose à jouer face à un Kent Smith "qui se dégrade" à vue d’œil... Un beau titre français, pourtant, pour une série B tout juste dans la moyenne.