Bigamie (The Bigamist) (1953) d'Ida Lupino
Le seul problème quand on rencontre une femme qu'on aime et qu'on veut se marier avec, c'est d'oublier bêtement de divorcer avant. Cela devient encore plus tortin quand on décide consciemment de ne pas divorcer et de continuer à vivre avec sa première femme parce qu'on a, en fait, absolument rien à lui reprocher et qu'on l'aime encore... La seule façon pour éviter d'aller droit dans le mur c'est de devenir musulman ou amish. Sinon, ben on se retrouve comme ce pauvre Edmond O'Brian (Harry Graham) qui sans être the king of the seducteur - loin de là, le type est plus gauche que moi pour dragouiller (et plus gros aussi) - va se retrouver écartelé entre Joan Fontain (Eve, his 1st wife, of course) et Ida Lupino (Phyllis, la seconde) ; il y a pire on est d'accord. Ida Lupino joue volontairement la carte de la banalité, ne cherchant point à rendre glamour ou bigger than life l'un de ses trois personnages principaux.
When Harry met Phyllis and kissed her, ce n'est point par vengeance par rapport à sa première femme, ni par frustration, ni à cause d'un quelconque démon de midi. S'il n'y avait qu'une raison à donner, ce serait simplement cette chienne de solitude : Harry, VRP en frigo et chauffe-eau pour sa propre entreprise, passe pas mal de temps à Los Angeles en voyage pour rencontrer des clients ; la plupart du temps quand le travail est terminé, il s'ennuie comme un rat mort. Un jour, l'âme en peine, il va sauter dans un bus touristique qui fait le tour de Bevery Hills pour montrer les maisons des stars. Il se retrouve à l'avant, seul, et ne peut s'empêcher d'engager la conversation avec l'Ida qui sommeille sur son siège, de l'autre côté de la travée, tout autant seule. Il est lourd, elle le rembarre grave - "Vous allez pas me raconter votre vie, si ?" - mais le type, qui n'a absolument rien à perdre et surtout rien d'autre à foutre, continue d'adresser la parole à la dame. Il finit même par prendre son courage à deux mains et par s'asseoir aux côtés de l'Ida. Celle-ci trouve qu'il a quand même un poil de toupet mais finit gentiment par le conduire dans un resto... Un soir ensemble, puis un autre - au fil de ses voyages "d'affaires" - , et puis un baiser, et puis hop un bébé et puis un mariage... Oups, c'est clairement déconner. Le pire, c'est que Harry aurait pu continuer à mener cette double vie pendant des plombes si un type enquêtant sur lui - il veut adopter un bébé avec sa première femme : le truc qui tombe mal - n'avait po finit par découvrir la "supercherie"... Cela dit avec ou sans ce type, Harry finissait par en avoir gros sur la patate, pas vraiment fier de son coup, et commençait, qui plus est, par paranoïer grave par peur d'être découvert.
Ce qu'il y a de plus troublant dans l'histoire, c'est que le Harry, bonne pâte parmi les bonnes pâtes, semble prêt à tout pour éviter de se retrouver dans une telle situation. Seulement dès qu'il veut avouer la vérité, toute la vérité à sa première femme (il veut assumer à 100% son gamin et ne pas lourder cette Ida comme une peau d'ourse), soit le père de celui-ci est malade (ah putain pas le moment), soit il meurt (ah putain pas le moment, plus tard...). De même, quand l'Ida apprend qu'il a été vu avec une autre femme se baladant dans les rues de Los Angeles (sa propre femme qui lui a fait une petite visite surprise pour leurs huit ans de mariage : les boules), il pense que le problème de sa double vie est enfin résolu : penses-tu Lulu, L'Ida est tellement accro à lui, qu'elle pourrait lui pardonner d'avoir flirté avec Arlette Chabot. Notre Harry a, de son côté, de plus en plus de mal à assumer son rôle de serial husband et il faut le voir marcher dans les rues particulièrement pentues de L.A. : une femme, c'est lourd à porter, mais deux, t'imagines ? Même Sisyphe a un taff plus à la coule. Ida Lupino nous conte cette histoire peu commune avec une grande sobriété et un max de tact, les cinq dernières minutes - son procès lors duquel sont présentes ses deux femmes ! - valant particulièrement leur poids en cacahuètes, tant la situation semble inextricable (bonjour je suis sa femme, bonjour je suis sa femme, ah, on tire à la courte paille ?) et la justice un peu gênée aux entournures devant ce problème très "personnel"... Peut-être point aussi "excitant" que cela s'annonçait sur le papier, mais un bon ptit film qui traite d'un sujet peu commun avec une vraie pudeur et un indéniable sens du réalisme.