Baise-Moi de Virginie Despentes - 2000
Avec l'âge, je ne sais pas pourquoi, je deviens de plus en plus client de Virginie Despentes. Celle que je traitais de haut il y a 10 ans, je me dis aujourd'hui avec contrition que c'est sûrement elle qui est dans le vrai avec ses postures punks et son côté provocateur. En tout cas, revoir Baise-Moi aujourd'hui est une expérience troublante. On se rend compte combien, le film était en avance sur son temps, pour tout dire, et je l'affirme en reconnaissant tout à fait les 3000 défauts de la chose. Ces défauts font partie justement de la réussite du bazar, snobisme mis à part : ils donnent à cet objet un côté cradasse, amateur assumé, impoli et tout cassé, qui en fait toute la beauté.
La dame nous l'a confirmé récemment avec l'excellent King-Kong Théorie : il existe le féminisme et le féminisme selon Despentes. Baise-Moi annonçait clairement la chose, en montrant l'escapade de deux filles "libérées", entendez libérées de la morale, de leur corps et de leur condition féminine définie par les hommes. Ces deux jeunes filles baisent et tuent dans une joyeuse absence de culpabilité judéo-chrétienne, se vengeant dans l'anarchie des hommes autoritaires, obsédés et petits. C'est ça qui ravit dans le film : l'absence de remords, la possibilité enfin de jouir de ses émotions, mêmes extrêmes, directement, sans barrière d'éducation ou d'identité sexuelle. C'est ça aussi, bien sûr, qui a dû choquer à l'époque les censeurs : le film n'a pas de discours, ne dit pas que ces filles sont mauvaises, de baiser ainsi et d'assassiner ainsi des innocents. Il se contente de les filmer avec une certaine jubilation enfantine, à mi chemin entre une attirance morbide vers le désespoir et la fête débridée. Despentes réalise le premier porno féminin et féministe, où les scènes de cul ne sont plus là pour exciter les mecs devant leur écran, mais portent une valeur presque politique : la bite, chez Despentes, est marxiste, pour le moins. Les scènes hard sont vues du côté des femmes, dans leur violence (enfin une scène de viol crédible, Gaspard Noé devrait en prendre de la graine), dans leur sensualité aussi. Loin des chiennes de garde ou des discours compassés sur la parité blabla, les héroïnes de Baise-Moi créent leur propre féminisme à elle : sans étiquette et sans idéaux.
Le film est bien sûr très amer sous ses aspects libertaires et rock'n roll. La cavale des donzelles est une fuite vers la mort annoncée d'entrée de jeu. Mais l'aspect complètement trashy de la mise en scène en fait quand même un film jubilatoire, énergique, unique. Dans ces conditions, on se fout complètement que les acteurs jouent comme des savates (la preuve, quand même, que les acteurs porno ne sont pas tout à fait Al Pacino), que le montage soit fait à la truelle, que les meurtres soient plus rigolos qu'autre chose, que la musique soit utilisée en dépit du bon sens, bref que tout ça ressemble à tout sauf à un film. Despentes a réalisé son film à elle, tout comme elle écrit ses livres à elle, et ça lui ressemble. Gloire à Despentes, définitivement, de nous secouer le cocotier, dans tous les sens du terme. En plus, on vient de gagner 30 lecteurs de plus avec les mots-clés de cet article.