Quatre étranges Cavaliers (Silver Lode) d'Allan Dwan - 1954
Je n'avais jamais vu de film d'Allan Dwan, je me suis dit : autant commencer par ce qui est considéré comme son chef-d’œuvre. Voici donc Silver Lode, ou un western qui cache sous une certaine patine classique une attaque frontale contre la communauté, et pas n'importe laquelle : la ricaine, celle avec des éperons dorés, du patriotisme couillu et du protectionnisme raciste à revendre. Nul besoin d'être fin analyste pour sentir les allusions : une équipe de cow-boys menée par un certain McCarthy (...) débarque, le jour de la fête nationale, dans une bourgade tranquille pour chercher une figure de la ville, gentleman aimé de tous mais qui a semble-t-il quelque peu fauté dans le passé ; les cavaliers l'accusent d'avoir jadis tué dans le dos un gars, d'avoir triché aux cartes et empoché un pactole consistant. Si dans un premier temps la communauté se range derrière son héros, les preuves qui s'accumulent peu à peu sur ses épaules lui font changer le sens du manche de pioche ; et voilà bientôt le gars contraint de lutter moralement et physiquement contre toute la ville, pistolets aux poings et dents serrées devant la lâcheté de ses pairs. Comment prouver son innocence quand tout son peuple est contre soi (y compris, cruauté supérieure, sa propre fiancée), voilà le challenge.
Une charge politique certes peu subtile, mais qui donne de beaux résultats, et qui montre en tout cas un culot indéniable de la part du metteur en scène. Il y a quelques plans directement insolents, comme ceux où le héros est contraint de se protéger des tirs nourris de ses ex-camarades en se cachant derrière des tables couvertes de nappes aux couleurs de la Star Spangled Banner ; ou ces confrontations inter-générationnelles où on sent tout le poids atavique de la violence américaine. Discrète et au service de son scénario, la mise en scène n'en est pas moins intelligente, surtout dans ces alternances adroites entre les plans fixes (longues scènes de conversation) et les travellings relativement virtuoses (le très long plan central où Payne court à travers toute la ville). L'ensemble révèle une belle tonalité tragique (unité de temps, de lieu, d'action), et change agréablement des purs divertissements propres habituellement au genre. Ceci dit, on sent aussi que Dwan n'est pas un génie à tous les postes, notamment au niveau de la direction d'acteurs : son héros principal est joué par un John Payne en imitation scolaire de Gary Cooper (regards et démarche y compris) qui aurait franchement plus d'emploi en petit employé de bureau qu'en héros de western ; et l'incontournable pute au grand cœur peine à convaincre elle aussi, tant cette petite Dolores Moran est palotte et transparente. On regrette aussi beaucoup de longs dialogues inutiles, de piétinements de l'action, et un final en happy-end très convenu et complètement illogique. Mais ce petit film de série reste quand même un chouette moment d'irrévérence, ne serait-ce que parce qu'il s'attaque courageusement à ce qui, en 1954, était tabou : la lâcheté de la majorité.