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REALISATEURS
GODARD Jean-Luc 1 2
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
8 juin 2011

La Loi du Seigneur (Friendly Persuasion) de William Wyler - 1956

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Totalement sous le charme de ce film qui m’est arrivé tout doucement par derrière : ce que je croyais être, au départ, une petite chronique sucrée en milieu rural, à la limite du film jeune public, avec Technicolor et joyeux bambins à l’appui, s’est révélé être un vibrant plaidoyer sur le libre arbitre, l’importance des choix moraux et la dichotomie entre raison et sentiments. Pas moins. Quelque chose qui se situerait, si vous voulez, entre Gene Kelly et Corneille, voyez ? Non ? Voyez pas ? Je développe.

 

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Au départ donc, nous voilà plongés au sein d’une communauté Quaker : chez ces gens-là, monsieur, on n’rigole pas, on prie. Les premières scènes nous montrent le quotidien de ce groupe de fervents religieux, avec le sommet que constitue la messe du dimanche, cérémonial fait de silence, de recueillement austère parfois ponctué par une sortie verbale exaltée d’une des brebis du Seigneur : Dieu est amour, oui-da. On sent Wyler très préoccupé par la véracité de son contexte, prenant vraiment tout son temps pour nous faire découvrir ces mœurs mystérieuses, ces coutumes étranges, et même cette langue différente (« I thank thee ! ») Du coup, l’arrière-plan de la chose, très réaliste, fait passer toute seule la romance qu’il brode autour : on s’attache effectivement plus particulièrement à une famille, filmée là en couleurs fluo et en comédie pure. A sa tête, Gary Cooper, en contre-emploi complet : paternel bon comme le pain, pacifiste acharné, touchant comme c’est pas possible, avec pour seuls vices la musique (il achète un orgue, scandale chez les Quakers) et la course de carriole avec le voisin sur la route de la messe. L’acteur est immense, s’aventurant ici sur les petits chemins de la comédie, qu’il a peu pratiqués : émouvant, impeccable dans ses minuscules mimiques, avec un travail hyper-minutieux sur les mains et les sourires, il est immédiatement sympathique et crédible dans ce rôle. A ses côtés, son épouse un peu psychorigide (Dorothy McGuire, pas la dernière pour implorer notre Seigneur), une fille qui rêve d’amourette, un cadet rigolo (le cachet trognon du film), et un aîné torturé par les états d’âme et la sève virile montant dans ses organes (Anthony Perkins, génial, déjà à moitié dingue dans son jeu, bien avant Norman Bates). Rien de bien sérieux pourtant : on court après des oies, on visite des fermes pleines de gonzesses girondes et peu farouches (scène digne des Monty Pythons où le jeune Perkins est harcelé par des nymphomanes de la campagne, j’ai reconnu la Lozère), on fait des galipettes dans le foin (dans des scènes hors-champ, hein, pas de panique) et on va à la pêche… Mais la tragédie rôde.

 

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Oui, car il y a un hic dans cette harmonie colorée et humaniste : la guerre de Sécession qui gronde en fond. Le Quaker, on le sait, n’aime rien tant que son prochain ; c’est pourquoi cette communauté soudée s’est promise de ne pas envoyer ses gars au front, de ne pas tuer d’autres êtres humains, de rester neutre. Difficile position, de plus en plus mal assumée par certains des hommes. Cooper lui-même, on le sent, est en porte-à-faux face à ces convictions : quand son fils se fait harceler par une bande de voyous à la kermesse, il est à deux doigts de cogner un des agresseurs. A partir de cet écartèlement moral (partir en guerre ou pas), le film va amorcer une pente de plus en plus raide vers le drame psychologique. C’est sur Perkins que va se concentrer le noyau dur du scénario.

 

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Il est avant tout question de transformation morale chez les personnages : jusqu’où doit-on suivre ses convictions ? Faut-il obéir à la communauté ou à son propre avis intérieur ? Tous les personnages, tour à tour, vont être concernés par ce débat : être ou ne pas être soi-même. Le petit gars va découvrir qu’en étant sympa avec l’oie agressive, celle-ci devient toute sympa (oui, bon, c’est pas le personnage le plus intéressant, le môme, de toute façon) ; la jeune fille va décider d’accepter l’amour qu’elle ressent pour son gaillard ; la mère va mettre de l’eau dans son vin (de messe) ; Cooper va sauver son âme et son fils dans le même temps lors d’une scène splendide où il laisse la vie sauve à l’homme qui a voulu le tuer ; et Perkins, décidément le personnage le plus beau de tous, va découvrir l’horreur totale de la guerre, l’amour d’un père, et la difficulté de grandir en même temps. C’est la plus belle séquence : Perkins, ayant décidé de partir à la guerre, se retrouve face à l’armée adverse, qu’il tient au bout de son fusil. Les plans serrés que Wyler opère sur le visage de l’acteur, terrorisé par l’acte qu’il est en train de commettre (tuer son prochain) sont impressionnants de force : au milieu du chaos, on voit un petit garçon, au bord des larmes, passer définitivement du côté du monde adulte, violent, sans pitié, brutal. Immense scène, montée au millimètre. Quant à Cooper, dont le jeu lumineux s’assombrit de minute en minute, il donne à l’ensemble de la dernière bobine une aura mythique surpuissante : le vrai héros américain est là, partagé entre le désir de bonheur et de paix et la violence intrinsèque de sa société, le modèle de la virilité et la défense coûte que coûte de sa famille. Tous suivent donc un parcours initiatique intérieur qui va remettre à zéro les compteurs de leurs convictions les plus profondes ; la fin les laisse différents, un peu plus humains sûrement, un peu plus tourmentés aussi, car ils ont traversé les pires épreuves : l’amour, la mort, et Dieu. Le happy-end sirupeux ne cache rien : les personnages ressortent éprouvés de la course, et la belle candeur du début avec eux. C’est ça, ce film : un discours sur la fraternité et la non-violence, qui passerait par une série d’épreuves testant la viabilité, justement, de la violence... Nul angélisme là-dedans, une vraie épreuve, et au final une réflexion en forme de plaidoyer pacifiste très valable.

 

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Toute cette belle cuisine scénaristique est servie dans un écrin aux petits oignons : couleurs éclatantes de la campagne, décors intérieurs précis et chaleureux, mise en scène dynamique, musique agréable et légère comme tout, personnages secondaires savoureux, on est dans le savoir-faire sans faille. Ça n’est certes pas exempt de défauts, comme le montage parfois à l’arrache (c’est quoi ces plans serrés qui s’enchaînent, dans le même axe, avec des plans d’ensemble, mmm, William ?), comme des séquences en trop (la scène ratée de visite des vieux pasteurs Quakers chez Cooper, alors que les enfants jouent avec l’orgue maudit au grenier, too much, cartoonesque), comme une main un peu lourde sur le côté paradisiaque du paysage de l’Indiana… Mais l’intelligence de l’écriture compense sans problème ces défauts, et on se surprend, au sortir de la chose, à être troublé par la profondeur du discours, alors que tout est en place pour nous faire croire à une comédie de divertissement familial. De la belle ouvrage hollywoodienne, originale dans son propos et irréprochable dans sa forme : Palme d’or, moi je dis. Ah ben, oui, tiens, il l’a eue, on le sait peu.

 

Ce brillant article a été rendu possible grâce au programme « Faites votre cinéma » proposé par PriceMinister. Allez donc voir la page de La Loi du Seigneur, et remerciez-les de ma part.

Commentaires
E
Merci du fond du cœur pour votre beau commentaire. Je possède déjà le dvd acheté sur Priçe Minister. Un film sur l'Amour opposé au Devoir ? Comment concilier ? William Wyler -avec quelques notes d'humour en prime- a réalisé une des plus belles œuvres pacifistes que je connaisse. Les acteurs sont époustouflants de vérité. Le très jeune Anthony Perkins, au visage d'une divine pureté, doit être complimenté pour la crédibilité exemplaire de son jeu. Non, décidément, il n'avait rien à prouver bien avant son Norman Bates de Psychose.
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