Le Chemineau (Il viandante) & Le Rémouleur (L'arrotino) de Jean-Marie Straub & Danièle Huillet - 2001
Deux petits films tirés du magnifique Sicilia, qui sont en fait des séquences coupées au montage et/ou remontées par les compères. Sicilia, c'est le meilleur film des Straub, sans conteste, et on comprendra donc que ces deux courts soient eux aussi impeccables. Ma préférence ira au Rémouleur, exercice de rigueur qui va pourtant à l'encontre de l'austérité souvent étouffante des films des Straub : il n'y a pas grand chose de plus que d'habitude, quelques cadres qui se comptent sur les doigts d'une main, une façon janséniste de balancer le texte, une rigueur totale dans les cadres, et pourtant, pour cette fois, la vie jaillit de cette mise en scène épurée. Peut-être parce que les Straub osent enfin l'humour, ou en tout cas l'expression d'une certaine joie, une énergie spontanée qu'on ne leur connaissait pas. Ce rémouleur, installé sur une place d'église et qui rencontre le héros de Sicilia pour échanger avec lui quelques mots, est en effet un sacré gaillard qui manie la parole en escrimeur, et n'hésite pas à se lancer dans de petites mimiques comiques impeccables. Impeccables, parce que placées ainsi au sein du protocole straubien ordinaire (et donc ardu), elles en ressortent d'autant plus vivement. Le texte flirte avec l'absurde, et s'il est relativement construit au début, devient vite un simple évocation de mots déclencheurs d'émotions, ponctuée par les cris et les petites danses de notre copain rémouleur. Frais, voilà : c'est un mot qu'on ne s'attendait certes pas à trouver dans une chronique sur le cinéma des Straub, et pourtant c'est bien ça.
Le Chemineau est plus mystérieux, et a plus de mal à trouver sa justification hors du film d'origine. On y retrouve la vieille femme de Sicilia en train d'évoquer un homme, sans doute mort, qui a simplement traversé son existence à un moment donné. Sujet trop flou pour être vraiment intéressant, à mon avis, ce qui n'empêche pas ce court-métrage d'être passionnant dans sa mise en scène : les Straub renouvellent complètement la figure grammaticale du champ/contre-champ avec une utilisation savante des axes de regards (qui n'obéissent à aucune règle d'espace), des rythmes de parole, du montage "illogique" des plans : on ne sait plus qui regarde qui, qui dirige la conversation, même le temps est brouillé, tout autant que l'espace. Comme en plus les cadres sont de plus en plus rapprochés, on a l'impression de 5 minutes hors de tout repère temporel ou spatial, et ça vous accroche merveilleusement. Ça vaut le coup de faire une odyssée Straub : ça permet de tomber sur de vrais bijoux.
Tout Straub et tout Huillet, ô douleur : cliquez