The Web (1947) de Michael Gordon
Bonne petite surprise que ce film noir de notre ami Michael Gordon que je ne connaissais point. Rien d'étincelant, sûrement, au niveau de la mise en scène, mais un casting qui tient solidement la route (Vincent Price en méchant manipulateur plein de morgue, le toujours excellent William Bendix en inspecteur qui cache bien son jeu et notre couple phare composé de l'honnête Edmond O'Brien et de la sublime Ella Raines) et un petit jeu du chat et de la souris, ou disons plutôt en l’occurrence de l'araignée et de la mouche (qui, parmi nos trois hommes, va être capable de prendre dans sa toile sa victime ?...) qui tient en haleine - rah même si, disons le tout de go, on voit venir de loin l'ultime twist, mais ne faisons point trop son malin. On pourrait faire court pour présenter le pitch : Price, puissant homme d'affaires, engage O'Brien (un homme de loi dévoué et droit dans ses bottes) pour jouer les gardes du corps (l'ancien partenaire de Price sortant tout juste de tôle et semblant lui en vouloir à mort) - O'Brien ne se sent pas franchement l'homme de la situation, mais le fait de pouvoir côtoyer la troublante Ella - secrétaire "particulière" de son nouveau boss - et la carotte de 5000 $ ne tardent point à le décider. Il décide illico de demander un permis de port d'arme à son pote Bendix, un inspecteur qui a de la bouteille et qui le met en garde contre d'éventuelles envies de jouer les Lucky Luke. Tu parles, William, le soir même O'Brien surprend, dans l'appart de Price, son fameux partenaire avec un gun et il le descend froidement. Ça, c'est un type de confiance diablement efficace - état de légitime défense, le procès est aussi rapide que l'attribution du Goncourt à Houellebecq ; seulement d'après les petites réflexions que lui sort Bendix, O'Brien commence à croire qu'il s'est fait rouler dans la farine comme un bleu, ou disons comme une sole meunière - c'est meilleur... Il décide de mener sa propre enquête, un petit jeu dangereux mais qui lui donne l'occase au passage de recroiser la belle Ella...
Un film qui commence avec une montée d'escaliers au quart de tour pour flinguer un homme et se termine avec une lente descente de ces mêmes escaliers dans le noir vaut déjà le détour (pour ma thèse, of course, voir les épisodes précédents). Ajoutons, au niveau des lieux, une séquence d'ouverture et, surtout, sur la fin dans la fameuse Grand Central Station, et il y a de quoi régaler tout fan de lieux mythiques (oui, je sais, c'est peut-être un peu court pour certains...). Alors bon, pour se faire plus convaincant, évoquons également le rôle troublant de notre héroïne : l'Ella est-elle la parfaite secrétaire obéissant à son boss, prête à user de son charme pour le servir (le type est un bon parti, certes) ? Ou serait-elle capable de n'écouter que son petit coeur qui bat et de tomber amoureuse d'un type plus à la coule (O'Brien qui lui joue son petit numéro dès le départ avec un paquet de sous-entendus "hum-hum" qui amuse) ? Elle pourrait bien être celle qui fait basculer le film en faveur de l'un ou de l'autre... Il est clair que nos deux héros ne sont pas tombés de la dernière pluie et rivalisent en plans bien foireux pour tenter de baiser l'autre ; O'Brien se verrait bien dans le rôle de l'araignée maline mais il ne faudrait point non plus qu'il sous-estime la très fine mouche Price qui n'en est point à son coup d'essai pour se débarrasser d'un témoin gênant... Et puis, puis il y la méga-spider-Bendix, le justicier qui ne dit rien dans son petit coin mais qui tisse aussi, progressivement, ses fils...
On a droit à notre petite romance et ses petits numéros de charme collatéraux finement écrits, à des personnages secondaires (en dehors donc du quatuor) qui marquent des points (je pense en particulier au domestique et homme de main de Price, John Abbot, qu'Obrien compare très justement à Frankenstein - il a la tronche de l'emploi et la même façon ultra creepy de se déplacer dans l'ombre), ou encore à notre lot de rebondissements qui permet jusqu'à la dernière partie de nous demander quelle petite bête va manger l'autre : autant de petits motifs qui rendent la vision de ce film noir relativement plaisante. Pas un chef-d’œuvre, mais une bonne petite toile (je fus prix de l'humour en 1995, rappelons-le, avant de tomber dans le rhum)... bien tissée (le problème, c'est qu'il faut toujours que j'en rajoute).
Noir c'est noir, c'est là