Feux Croisés (Crossfire) (1947) d'Edward Dmytryk
"Monty's kind of hate is like a gun. If you carry it around with you, it can go off and kill somebody."
"Ignorant men always laugh at things that are different."
Un film avec trois Robert ne peut forcément pas être mauvais, surtout au vu des Robert : Robert Young dans le rôle de l'inspecteur finaud (le type qui paye pas de mine mais qui sait non seulement travailler du citron, mais aussi conduire avec art un interrogatoire tout en cachant parfaitement son jeu - bien aimé, dès les premières séquences, quand l'inspecteur s'efface pour nous faire apparaître la femme de la victime, désemparée sur son sofa, puis dans le plan suivant, face à Ryan, la victime elle-même gisant à terre), Robert Ryan, donc, dans l'un de ses meilleurs rôles avec sa carrure impressionnante et sa fausse morgue qui laisse présager à tout moment un éclat de violence, et enfin Robert Mitchum en bon pote qui se démène tout au long du film pour protéger les innocents et mener sa propre enquête. Pour compléter le trio, on a droit en prime à la présence de la toujours lumineuse Gloria Grahame en fille de bar amère (sur son passé), acide (les deux-trois répliques caustiques qu'elle balance quand l'inspecteur vient lui rendre une petite visite) mais au fond tout sucre (sa compassion envers ce jeune militaire perdu), joliment éclairée au passage par un J. Roy Hunt qui n'est pas le dernier des manchots pour jouer avec les ombres.
La séquence d'ouverture nous plonge d'ailleurs, d'entrée de jeu, dans la moelle du film noir : une lutte, une lampe qui valse, un noir absolu de plusieurs secondes, et la découverte quand la lumière revient d'un cadavre et des jambes de deux hommes qui se font la malle dans l'ombre... L'inspecteur Finlay se rend sur les lieux du crime et les soupçons ne tardent pas à se diriger sur une poignée de militaires revenus définitivement du front (la seconde guerre mondiale encore et toujours matrice du genre). Une soirée alcoolisée lors de laquelle un certain Samuels (la victime) s'est retrouvé, chez lui, avec trois militaires croisés auparavant dans un bar qui aurait mal tourné ? Peut-être, c'est en tout cas la seule piste qui s'offre à l'inspecteur, et ce d'autant que certains de ces militaires ont, depuis, disparu dans la nuit... Resterait tout de même à déterminer un motif valable... Dmytryk construit intelligemment son récit - les deux flashs-back plus ou moins imbriqués l'un dans l'autre lorsque Ryan puis ce jeune soldat, Leroy, racontent leur propre version des faits -, soigne l'ambiance de ses scènes-clés (les visions troubles de Leroy, sa rencontre avec la chtite Gloria (ce flirt relativement "innocent" qui s'élabore entre les deux) puis sa discussion, dans l'appart de cette dernière, avec un énigmatique individu qui passe son temps à mentir) et même si le suspense sur le coupable ne fait pas long feu, le rythme reste trépidant jusqu'au bout.
L'inspecteur Finlay a son moment de gloire lorsqu'il expose avec finesse sa théorie sur l'ignorance et la haine qui peuvent conduire au crime (belle réflexion en creux sur la tolérance dont nos politiques actuels devraient s'inspirer - je me tiens à leur disposition pour l'envoi du fichier (oui, oui)) et le Robert Ryan de voir peu à peu le piège se refermer sur lui - la magnifique séquence du "rasage" où il se retrouve face à son miroir (sa propre stupidité) et face à ce jeune soldat qu'il considère comme un idiot (à cause de son accent...): notre Robert se prend pour plus malin que les autres et va se faire justement squeezer par un type qu'il ne respecte point... Joli plan également, vers la fin, sur notre Robert pris dans les ombres de ces escaliers (le piège se resserre autour de lui), et belle phrase très laconique et "morale" (pour peu qu'on considère cette mort au sens figuré) de l'inspecteur qui vient conclure le récit ("il était mort depuis longtemps...")... Du fond, de la forme, un parfait feux d'artifice croisés.