Rapport sur la Conduite du Professeur Ishinaka (Ishinaka sensei gyojoki) (1950) de Mikio Naruse
Trois petites histoires narusiennes pour le prix d'une, c'est ce que nous propose ce film champêtre du grand Naruse. Sous l'oeil bienveillant de ce Professeur Ishinaka, écrivain de son état, trois jeunes couples se forment dans des circonstances plus ou moins originales et amusantes. Derrière ces mignonnettes histoires d'amour qui peinent à dire leur nom, Naruse en profite pour épingler au passage les petits défauts de ses compatriotes tels que la cupidité, l'entêtement ou encore la timidité... Ces trois intrigues s'inscrivent magnifiquement dans le paysage (présence d'arbres fruitiers, de la montagne...) et les coutumes locales (festival en ville ou fête des foins) et touchent par la personnalité joliment dessinée de chacun des acteurs de ces mini-romances. Comme en plus on a droit à un épisode avec Toshirô Mifune (qui reviendra faire une apparition chez Naruse dans Coeur d'Epouse), il y a de quoi satisfaire tout grand fan du maître japonais.
Un jeune homme met en joie son entourage lorsqu'il raconte avoir enterré pas moins de 460 bidons d'essence dans un champ pendant la guerre. L'un des hommes qu'il a convaincu s'imagine déjà mettre la main sur un petit pactole et part vaillamment, pelle sur le dos, à la recherche du trésor... Seulement le jeune homme n'est pas vraiment précis quant à l'endroit où les bidons sont censés être et les deux hommes, accompagnés du Professeur Ishinaka, terminent leur journée bredouilles et harassés. Le jeune homme, lui, ne semble pas vraiment se soucier du résultat, fricotant à la moindre occase avec la jeune fille dont le vieux père possède le champ... Il apparaît bientôt que notre jeune homme a tout bonnement inventé cette histoire pour pouvoir revoir cette jeune fille qu'il avait entr'aperçue peu avant... Un mignon petit mensonge pour arriver à ses fins : Naruse filme les deux jeunes gens au diapason juste sous une pomme et il est bien difficile de ne pas voir là dedans un petit message symbolique - les deux amoureux croqueront d'ailleurs ensuite une pomme à pleine dent, la caméra suivant les deux trognons qu'ils lancent, en laissant nos tourtereaux, pudiquement, hors-champ...
Pommier avoué à demi pardonné, on connaît le proverbe... La cupidité, elle, en revanche, ne paye jamais. La déclaration d'amour du jeune homme qui avoue à la jeune fille son stratagème (on a même droit à un petit flash-back : dès qu'il l'a vue, dès qu'elle lui a tendu des pommes, ce fut le coup de foudre..) est craquante à souhait et les recherches pathétiques dans le champ (un coup de pioche dans une boite de conserve et hop, il creuse une piscine (...) autour avant de se rendre compte de la boulette) sont évoquées avec une douce ironie. Romantique et léger à souhait. Mangez des pommes.
Le second récit met en scène deux notables qui "s'offusquent" d'une affiche représentant une jeune femme quasiment nue : un spectacle de danse a lieu en ville ; l'un deux, libraire, a reçu deux tickets pour mettre l'affiche dans son magasin, tickets qu'ils s'apprêtent à déchirer, proprement scandalisé... Son interlocuteur n'a guère besoin d'insister pour dire que ce serait gâché (la justification à deux balles) et nos deux pères de se rendre directos à la représentation : du french cancan à la nippone devant un parterre d'hommes proprement hypnotisés - et, en prime, une des danseuses qui perd sa godasse et manque d'assommer notre libraire - j'en ris encore. Seulement, ils ne vont pas s'en tirer à si bon compte car leur fils et leur fille respectifs (dont on devine les affinités), intéressés pour faire un ptit chantage, les attendent à la sortie... Les deux hommes se rejettent la faute pour reconnaître qui a entraîné l'autre et le conflit dégénère, chacun des jeunes gens prenant la défense de son propre pater...
L'histoire se réglera chez notre Professeur qui recevra à tour de rôle chacun des protagonistes. La caméra souligne judicieusement le caractère vaudevillesque de la situation, faisant des allers-retours entre la pièce où se trouvent les personnes qui se cachent (l'un des paters puis le second quand les deux enfants arrivent) et celle où ont lieu les discussions sous le regard attentif du Professeur. Les deux amoureux se font la tête mais lorsque le professeur leur demande de montrer "en écartant les bras" la mesure des sentiments qu'ils ont l'un pour l'autre, leur geste se fait on ne peut plus expressif - et relativement fendard (le langage corporel - et celui du coeur - effaçant d'un trait tous les petits mots mesquins échangés auparavant)... L'happy end est forcément de rigueur.
Enfin une jolie histoire marquée par le destin : une jeune fille se fait lire la paume de la main et apprend qu'elle rencontrera son futur amoureux dans la journée... Elle revient chez elle sur une carriole chargée de foin, fait une pose en route, décide de dormir sur la carriole en attendant son propriétaire et se trompe de carriole... Stupeur quand elle se réveille dans un petit village bien loin de chez elle, sous le regard étonné du grand Mifune qui ne l'avait point remarquée jusque là. Elle passe la soirée avec la famille du Mifune, pétée de rire à la moindre occase alors que notre Toshirô est muet comme une taupe. Les deux jeunes gens vont avoir l'occasion de faire plus ample connaissance pendant la fête du village mais la jeune femme extravertie aura bien du mal à dérider son compagnon d'une timidité maladive, totalement muet dans un premier temps, bègue dans un second (Mifune avec un bâton de glace qui pendouille à la main, un grand moment de séduction)...
Le lendemain, un policier et le Professeur sont appelés pour rédiger un "certificat de virginité" - situation peu banale, faut reconnaître, mais faut bien que les apparences soient sauves pour tout le monde : la chtite décrit précisément tout ce qui s'est passé (en un mot : rien, si ce n'est qu'elle a pris, elle-même, la main de Mifune - la scène est vraiment cocasse) pendant que notre Mifune reste dans ses petits sabots (collector)... Il la raccompagne chez elle le jour même et je ne vous fais pas de dessin pour vous dire que l'affaire est in the pocket... Trois récits croquignolets qu'on savoure seconde par seconde d'autant que cette odyssée narusienne, mes bonnes gens, tire malheureusement à sa fin...