Breezy de Clint Eastwood - 1973
J'ai toujours adoré ce petit Clint quelque peu oublié, et le revoir m'a fait encore une fois le même effet : c'est l'oeil mouillé que je redéclare ma flamme envers ce mélodrame discret et modeste. Pas grand-chose là-dedans, juste une note juste, un équilibre trouvé, une justesse de chaque instant dans ce qui est l'observation de petits sentiments humains. Aussi "vrai" dans son regard sur les gens, on ne voit que le Woody Allen de Another Woman, c'est dire. Eastwood n'est pas toujours très subtil dans la construction de ses personnages : Breezy restera sûrement comme son film le plus subtil de ce côté-là.
Rien de flamboyant, je le disais, dans le sujet lui-même, à la fois rebattu et casse-gueule : la passion d'un cinquantenaire un peu ours pour une fille de 18 ans. Les doutes, le bonheur, l'amertume, les questions sur soi, le regard des autres, on sait à l'avance par quelles étapes va devoir passer le film pour faire le tour de ce sujet ; et il les passe toutes, certes, ce n'est pas dans l'originalité que Clint veut nous toucher. Mais à chaque nouvelle séquence, même attendue, il sait rédiger la petite ligne de dialogue parfaite, pousser le cliché un tout petit peu plus loin pour qu'on ait l'impression d'être dans la vie, la vraie : c'est étonnant de voir comment le film tient comme par magie sur le fil ténu qui pourrait séparer le mélo lourdaud et le film psychologique, sans jamais céder ni à l'un ni à l'autre. Les responsables de ce miracle, en plus du Clint bien sûr, ce sont les acteurs, géniaux : Holden atteint une véracité incroyable, son jeu est un exemple de rigueur, de modestie, de sensibilité ; et Kay Lenz sait pétiller comme une bulle de champagne et soudain atteindre une gravité splendide. Le duo est une merveille à regarder, et les seconds rôles sont aussi bons (la séquence de l'ex-épouse démunie, bourrée, amère, est une tuerie aussi bien dans l'interprétation que dans l'écriture et le montage ; le copain du héros, dans sa scène au sauna, est bouleversant).
La mise en scène d'Eastwood est discrète mais toujours au bon endroit. Dès les deux scènes d'introduction , on sent qu'on a là un trésor de finesse : en quelques secondes, en une ou deux lignes de dialogues simples, on comprend tout du personnage de Breezy, sa légèreté, sa soif de vivre, sa naïveté. Puis avec encore plus de simplicité, le personnage de Frank est brossé en une seule situation, amère, solitaire, malheureux, dur avec les femmes, élégant. C'est une école, je vous dis. Toutes les séquences sont sur ce ton-là, et finissent par vous mettre les larmes aux yeux, simplement par quelques petites répliques superbes ("My God, you're so new..." dit le cinquantenaire à la jeune beauté qu'il a dans son lit ; ou, à la toute fin : "Hello, my love / Hello, my life", deux lignes qui m'ont tué). Si on excepte une musique de Michel Legrand bien ringarde, et des costumes qui ont pris un sacré coup de vieux, on ne peut qu'admirer la beauté de ce film qui n'a pas trouvé d'égal, sur un tel sujet, depuis 35 ans. Entre deux westerns, Clint prouve qu'il est un grand sentimental, un observateur affuté des sentiments humains, et un sentimental assumé.
All Clint is good, here