Agent X27 (Dishonored) (1931) de Joseph von Sternberg
"J'ai eu une vie déshonorable, je pourrais avoir une mort honorable" - Est-ce que l'on meurt "honorablement" par amour pour sa patrie ou par amour tout court ?... Personnellement, y'a pas photo, mais qu'en est-il pour la Marlène ? C'est bien là que réside tout le suspense de ce subtil récit, je vais pas foirer le final avant même de commencer... Sternberg construit son film en longues séquences (le recrutement, la séquence de carnaval, la première mission pour démasquer l'agent qui trahit, la seconde en terre autrichienne puis en territoire ennemi pour tenter de démasquer l'espion russe, l'arrestation de l'espion russe, le dénouement) qui ont chacune leur point fort, chacune leur esthétisme : on prend plaisir à l'art de Sternberg de jouer sur les ombres et les lumières, à la magnificence de la mise en scène, lors de la scène de carnaval en particulier, à l'enchaînement des scènes (de longs fondus enchaînés qui peuvent se révéler signifiants (le personnage aux béquilles (l'espion russe) qui se surimpressionne au personnage interprétée par Marlene Dietrich - elle l'a déjà dans la peau...?)), au jeu de séduction et à la tension qui s'installe entre deux espions qui jouent au plus finaud (qui sera le chat, qui sera la souris), à l'intrusion de passages mâtinés de comédie (Marlène Dietrich en bonne servante campagnarde et naïve, sans doute la partie la moins convaincante, cela dit), ou encore à la résolution de cette histoire qui me donne encore des frissons dans le dos.
Une construction d'une très grande sobriété narrativement parlant, mais qui distille son lot de scènes fortes (le test du recrutement au départ, ce fabuleux carnaval masqué où chacun se joue des apparences et tente de se jouer de l'autre, la Marlène qui montre ses gambettes pour mieux leurrer le traître, les multiples confrontations entre Marlène et l'excellent Victor McLaglen au sourire carnassier où l'on ne sait jamais lequel sera le dupe de l'autre, le climax final lors duquel on se met à prier à genoux en souhaitant un "impossible" happy end).
Il y a tout cela et il y a surtout une Marlène Dietrich incroyablement indolente capable, à chaque réplique, de laisser traîner chaque syllabe pendant des plombes : une séductrice fataliste magnifiquement incarnée par cette actrice incroyablement désinvolte de bout en bout. Une Marlène accompagnée d'une gros chat noir quelle que soit la mission, un encombrant porte-bonheur qui a l'air de se foutre comme de l'an quarante de ce qui se passe autour de lui. Joseph von Sternberg donne un nouveau rôle en or à la Marlène qui sous ses airs de n'avoir plus rien à perdre sait, plus que jamais, quelles sont ses priorités. Une parfaite femme fatale qui pourrait bien se révéler la seule victime consentante de cet incroyable jeu de charme. Elle ment, apparemment, comme elle respire, sait user de son sourire à la moindre occasion pour charmer son entourage, parvient à jouer son/ses rôle(s) avec une étonnante spontanéité, mais derrière ces apparences forcément trompeuses, peut-être y-a-t-il encore en elle une petite corde sentimentale qui vibre ? Une ultime "illusion" ? C'est fort possible et c'est ce qui rend sans doute son personnage si touchant, si profondément humain. Un excellent film d'espionnage du gars Joseph qui, au-delà du film de genre, parvient à faire le portrait d'une émouvante héroïne en aucun cas anonyme.