I wish I knew (2010) de Jia Zhang-ke
Film sur Shanghai réalisé par Jia Zhangke que j'avais forcément hâte de découvrir, même si je sais à quel point les oeuvres sont souvent plus contemplatives que "démonstratives" - faut prendre parfois "son mal en patience" (film pointu et nécessaire, that's it), une idée qui colle finalement à la perfection au sujet de ce film. Il y a une évidente nostalgie qui se dégage de cette oeuvre-interview toujours fortement mâtinée d'une petite pointe d'ironie : non point que le cinéaste se permette un quelconque jugement historique ou politique (notre homme n'a point besoin d'intervenir directement, son récit et son montage parlent d'eux-mêmes), mais la confrontation de ces images au présent (Shanghai 2009-2010) et de ces récits d'un passé, plus ou moins lointain, ne sont jamais totalement exemptes d'un léger décalage qui peut prêter aussi bien à sourire qu'à la réflexion ; mais là encore, soulignons que le cinéaste chinois semble chercher plus à montrer qu'à démontrer, prenant toujours le temps de laisser planer sa caméra avec grâce sur cette ville en perpétuelle évolution, de laisser "tourner" cette caméra autour de ces personnages qui confient leur histoire personnelle : on pourrait certes relever quelques pointes de cynisme (cette ancienne ouvrière de confection, héroïne, à l'époque du gars Mao, d'un film sur sa totale dévotion au travail, qui revient errer dans son atelier aujourd'hui totalement abandonné) mais c'est souvent plus l'ironie de l'Histoire elle-même teintée d'une évidente émotion qui finit par poindre. Un rythme volontairement alangui pour tenter de capter au plus près cette ville qui ne cesse de renaître de ses cendres, pour le meilleur (ces vues très glauques de 1999 sur la Suzhou River enchaînées avec des images, prises 10 ans plus tard, sur cette même Suzhou River beaucoup plus proprette et sereine) ou pour le pire (ce magnifique plan sur ce personnage féminin (fil conducteur que l'on retrouve ici ou là) qui marche sur cette esplanade encore déserte de l'Expo - le vide avant le vide (...), la sérénité avec le brouhaha disnleylandien, sans vouloir forcément être méchant...)
De multiples personnages témoins "d'une autre époque" reviennent sur leur souvenir shanghaïen, de l'époque des gangs (joli petit clin d'oeil contemporain non dénué d'ironie là encore avec ce "gamin des rues" qui se prend pour Hulk - Shanghai la combattive...) à l'époque moderne (ce jeune homme qui, en vendant son premier livre, a pu se consacrer à sa passion, la course automobile (...) ou cet apprenti boursicoteur qui a fait fortune) en passant par la période précédant la libération (ce témoignage plein d'émotion de cette femme qui a assisté à l'exécution de son mari, gagné à la cause communiste, quelques semaines avant que la ville change de mains) ou la révolution culturelle. Jia Zhangke se permet également une très belle parenthèse sur le cinéma revenant sur ce fabuleux film de Fei Mu, Printemps dans une petite Ville (interview de l'actrice principale et de la fille du réalisateur), ou en convoquant Hou Hsiao-Hsien (dont le film teinté de "romantisme", Les Fleurs de Shanghai, par faute de décors adéquats (...), a été tourné essentiellement en studio) et Wong Kar Wei par l'intermédiaire de l'une de ses actrices de Nos Années sauvages, Rebecca Pan - joliment émue par sa propre histoire. Un étrange parfum finit par se dégager de cette oeuvre sans cesse sur le fil à l'image de ce superbe plan d'ouverture sur notre héroïne toute de blanc vêtue qui traîne sa silhouette sur un Bund (le célèbre quai de Shanghai) en reconstruction : on oscille entre tristesse et magie, désolation et grâce. L'essence même des souvenirs, sûrement.