Pris au Piège (Caught) (1949) de Max Ophüls
Pauvre Barbara Bel Geddes qui, avant de devenir la pomme toute ridée de la cruelle famille Ewing, a dû se coltiner un Robert Ryan tyrannique - un personnage clairement inspiré du gars Howard Hugues qui a dû en avaler sa chique. C'est bien beau de vouloir épouser un milliardaire, encore ne faut-il point devenir son esclave... Barbara va en faire la triste expérience, elle, simple petite aspirante mannequin qui va tomber dans les rets du capricieux Robert. Le pire c'est qu'elle tombe vraiment amoureuse du bonhomme jusqu'à ce qu'elle se rende compte qu'il se sert d'elle comme d'une potiche. Faut dire, on était en droit d'attendre le pire, vu que le gars, après une simple engueulade avec son psy, avait décidé sur un coup de tête de se marier avec la dernière gonzesse croisée. La lune de miel ne va pas durer longtemps, et Barbara de reprendre son destin en main en décidant de quitter la luxurieuse maison du Robert et de trouver un petit taff. Simple assistante de deux docteurs, elle va vite creuser son trou en bossant comme une tarée. Comme l'un des docteurs n'est autre que le fringant James Mason, on sent venir de loin le coup fourré : il y aura forcément de la romance dans l'air... Petite complication toutefois au bazar, Barbara est enceinte de son mari et ce dernier, conquérant sur tous les terrains, est bien décidé à remettre le grappin sur elle. Barbara est aux abois, wouf.
Trois personnages parfaitement dessinés - Robert Ryan, mâchoire plus fermée qu'un pitbull sur une espadrille qui traîne, Barbara Bel Geddes en jeune femme charmante un peu trop tendre au départ qui va faire preuve d'une belle combattivité pour ne pas se faire phagocyter, et James Mason, dont le sourire m'a toujours foutu les boules (même quand il est heureux, on croit qu'il a la colique) en docteur séducteur bien décidé à ne rien lâcher. La confrontation entre le Robert et le James est un véritable duel de western - les deux discutant de part et d'autre d'un immense comptoir, chacun campé à une extrémité (on ne serait pas surpris d'en voir un soudainement dégainer) avant de se retrouver ensuite face à face, en présence de la pauvre Barbara qui ne cesse d'aller et venir - son cœur balance entre la sécurité (qui a un prix...) et le véritable amour. Max Ophüls excelle d'ailleurs, lorsqu'il s'agit de donner un mouvement de balancier à sa caméra, l'une des plus belles séquences étant une discussion entre les deux docteurs : Mason annonce à son pote (le Dr Hoffman) qu'il a demandé la main de Barbara, l'autre, au courant qu'elle est enceinte, ne sait pas trop comment lui annoncer que cette union est loin d'être gagnée d'avance, et la caméra, avant de se fixer tour à tour sur l'un et l'autre, de cadrer le bureau du Dr Hoffman sur lequel, devine-t-on, se trouvent les résultats des analyses de Barbara. Une mise en scène d'une grande fluidité qui ajoute une bonne dose de suspense à cette petite discussion. Ce n'est d'ailleurs pas une surprise de voir Ophüls toujours au taquet dans sa mise en scène - cette caméra notamment qui passe littéralement à travers les murs lorsqu'une première fois Ryan vient chercher Barbara dans son petit appart pour la ramener illico chez lui : rien ne résiste à la tempête Robert ; ou encore ce magnifique plan sur un Ryan assis au premier plan et la pauvre chtite Barbara à l'autre bout de l'écran, en haut des escaliers, petit point qui ne pèse pas lourd face à l'irascible Robert. Beaucoup aimé également ce plan sur un Robert, victime d'une crise cardiaque, écrasé par son flipper : à vouloir trop jouer avec le feu (et avec les individus), on risque de se faire écraser par la lourdeur de sa propre suffisance. Jusqu'au bout on craint le pire pour la chtite Barbara, totalement cloîtrée dans sa chambre et rongée par le remord, qui risque, en ayant simplement voulu s'échapper des griffes du Robert, de sombrer dans la folie douce...
Ophüls décanille le rêve américain (l'argent, le pouvoir... connerie, ouais - toujours dit que je préférais être pauvre, moi - ben si...) à travers cette histoire d'une Cendrillon qui tombe sur un gros enfoiré de prince charmant. Une histoire solide, parfaitement menée et interprétée, une œuvre du Max de qualité, sans que ce soit la peine d'en rajouter. (Shang - 12/11/10)
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Bah tout est dit par mon compère Shang (aka "The spoiler-man", lui qui raconte le film jusqu'à la dernière seconde de la dernière bobine, enfoiré). Ce n'est pas le film le plus marquant de son auteur, encore trop impersonnel dans l'histoire, encore un peu timide dans la mise en scène, et on aura du mal à y repérer les effets habituels d'Ophüls. Néanmoins, on a là une mise en scène certes plus discrète que dans ses futures productions, mais d'une élégance et d'une subtilité totales. Notamment, oui, dans les plans larges qui montrent par le simple placement des acteurs les rapports de force (tout le sujet du film) entre eux. Ces personnages sont déjà d'une très belle complexité, et j'ai particulièrement aimé celui de Barbara Bel Geddes, qui a droit, c'est rare, à un regard très ironique de la part de Ophüls : certes, elle est douce et simple, et c'est la vraie victime sacrificielle de ces deux façons d'être masculin que représentent Mason et Ryan ; mais ses rêves de midinette, trop sucrés, trop naïfs, montrent en se heurtant à la réalité de la vie une vision très caustique du réalisateur, débarrassé ici de tout romantisme et de toute grandeur humaine. Bref, un petit film modeste, mais supérieurement fabriqué, modeste et parfaitement joué. (Gols - 09/11/24)