Hahaha (2010) de Hong Sang-Soo
Hong Sang-Soo livre un film limpide comme de l'eau de roche que l'on regarde avec un grand plaisir - c'est aussi simple que cela, parfaitement. Deux gaziers se retrouvent et se racontent leur vie, notamment leurs dernières "vacances" dans la même petite ville. Sans jamais qu'ils le disent directement entre eux, on se rend compte qu'ils ont souvent eu affaire aux mêmes personnages (la mère de l'un, un type avec sa donzelle): si l'un se concentre sur ses rapports avec sa mère et avec une femme qu'il a rencontrée, le second, un poil dépressif mais toujours partant pour discutailler, revient en particulier sur ses relations avec sa maîtresse et avec l'un de ses potes, poète. Hong Sang-Soo passe de l'un à l'autre toutes les dix minutes sans jamais chercher à nous faire perdre le fil ou à jouer avec des ellipses de folie (po toujours très clair par le passé, son fil narratif...) et met en scène cette poignée de personnage avec une étonnante économie de moyens ; le plus souvent on assiste à un plan-séquence filmé en caméra fixe, de légers zooms survenant ici ou là pour isoler un personnage ou "s'approcher" au plus près de l'intimité des deux individus (ils peuvent être trois ou quatre éventuellement, mais c'est finalement assez rare); les acteurs jouent donc ces longues séquences sans aucun filet mais cela donne, inexorablement, à ces scènes dialoguées une évidente fraîcheur et spontanéité. Une mise en scène minimaliste en quelque sorte mais qui donne l'occase aux acteurs de défendre leur personnage dans les meilleures conditions - et ça marche, tant l'on finit par s'attacher à chacun de ces individus qui ne cessent de se croiser.
Difficile de chercher à résumer l'intrigue - on rencontre des femmes, on tente de les séduire, on pense que cela va marcher, on tombe dans les bras l'un de l'autre ou on s'engueule, on continue sa route à deux ou en solo - qui n'a rien d'extraordinaire en soi. Hong Sang-Soo concentre toute son attention et son affection sur de petites choses de la vie, plus ou moins jubilatoires (quand la femme qu'on drague finit par céder (jolie séquence dans le restau quand la femme lit le poème que lui a donné l'homme (héros number one)) , plus ou moins cruciaux (scène fendarde quand l'homme à lunettes (héros number two), complètement bourré, annonce à son oncle son intention de vivre avec sa maîtresse), plus ou moins pathétiques (le héros no 1 qui se fait salement rembarrer, au départ, par la femme qu'il suit, ce même individu qui se prend une sale raclée par l'ex de sa nouvelle conquête en tentant de garder la face), plus ou moins violentes (nombreuses scènes de petites disputes, en couple ou entre potes), plus ou moins drolatiques (la séquence onirique avec l'amiral Yi), plus ou moins border line (la mère qui fesse son fils, à la limite du too much, oui). On rit, on pleure, on sourit au ciel quand une femme vous remarque enfin, on se retrouve aussi parfois comme une pauvre pantoufle qui a perdu sa moitié, autant de petits moments d'une vie qu'Hong Sang-Soo capte avec légèreté. Superbement écrit et interprété, le film ne provoque point de gros rires gras qui dégoulineraient dans le pop-corn, mais possède -et ce n'est pas si courant quand on y songe - un parfum subtil de vérité et de justesse : on en ressort tout ragaillardi devant ces petites tranches de vie joliment troussées que l'on a pu apprécier comme une énorme tranche de pastèque découpée à pleines mains. Nan, bien bien bien, définitivement.