LIVRE : Que font les Rennes après Noël ? d'Olivia Rosenthal - 2010
Un des livres les plus étonnants et les plus maîtrisés de cette rentrée pour sûr, en tout cas parmi les quelques livres d'icelle que j'ai pu lire. Que font les Rennes après Noël ? est une étrange installation littéraire, qui n'accepte de dévoiler son vrai concept qu'à la longue, dans les dernières pages, et nous emmène avant cela sur des pistes vraiment originales. Il s'agit de dessiner deux voies en parallèles : d'un côté, le cursus sentimental et intime d'une femme, de l'enfance à l'âge adulte, ou plus exactement de ses comportements difficiles face à la famille, la société ; de l'autre, les témoignages de professionnels des animaux, dresseurs, soigneurs de zoos, bouchers, éleveurs, expérimentateurs divers, scientifiques en charge de la sauvegarde des espèces, etc. Sur le rythme rarement rompu d'un paragraphe sur deux, Rosenthal fait grandir en strict parallèle ces deux options, a priori sans rapport l'une avec l'autre. C'est petit à petit qu'on se rend compte que, finalement, ces deux voies n'en font qu'une : à travers la description précise de nos comportements avec les animaux, l'auteur donne à voir le processus de domestication de l'être humain, de son acceptation des règles de la société, même violentes, et au final de son asservissement (sentimental, amoureux, social, esthétique même) au monde qui l'entoure.
L'écriture est extraordinairement tenue, et le concept de Rosenthal ne souffre aucune concession. C'est ce qui est le plus admirable là-dedans : on sent qu'elle sait exactement où elle va, que chaque paragraphe est pesé pour être à sa place, aussi bien sémantiquement que formellement. Ce qui pourrait être un livre-laboratoire un peu froid est en fait un magnifique roman d'éducation sentimentale, par la seule justesse de la construction, par la force du concept, par ce style entre description clinique et plongée en eaux psychologiques. La mise à distance des pensées de l'héroïne, opérée par ce constant miroir scientifique de la partie "animalière", empêche le livre de verser dans le pathos ou le sentimantalisme, c'était un des grands pièges. Rosenthal veut faire de la musique autant que du sens, et y parvient merveilleusement, malgré des maladresses criantes dans les répétitions : elle voudrait finir ses paragraphes par une seule phrase qui évoluerait au fur et à mesure du livre, mais elle ne fait que tirer par les cheveux des formules un peu creuses (une variation sur "L'homme est un loup pour l'homme" qui fatigue à la longue, ou ces éternels retour de la formule : "Vous vous défendez", "Vous vous habituez", etc...). Mise à part cette réserve, on applaudit devant l'évidence de l'idée, la précision des phrases (le livre est super bien documenté, on apprend des tas de trucs) et l'assurance de la dame : un livre à nul autre pareil, intelligent, sensible et beau.