LIVRE : Les Jeux de la Nuit (The Farmer's Daughter) de Jim Harrison - 2009 (2010 pour la traduction)
J'ai enfin réussi à griller l'ami Gols sur la parution d'un nouvel opus de Jim Harrison. Cette petite gloriole mise à part, le Jim revient en pleine forme avec ce recueil de trois nouvelles dans lesquelles on retrouve certains personnages ou certains types de personnages très harrisonniens. La première nouvelle (La Fille du Fermier) nous conte les aventures d'une jeune fille forcément belle à tomber, amoureuse des chevaux, des chiens et de la nature et forcément - même si cela fait deux fois dans la même phrase - abusée. Une mésaventure sexuelle qui va entraîner celle-ci sur le chemin de la vengeance, le piètre mâle fautif devant finir par payer son dû. On retrouve dans le second récit l'incontournable Chien Brun (Chien Brun, le retour) qui s'est rendu au Canada pour que les autorités ricaines ne cueillent et n'internent pas la chtite Baie, son enfant déficient mental. Toujours aussi pataud et macho avec les femmes - mais bonne poire -, Chien Brun doit généralement se contenter de plans à la sauvette, sans lendemain. Harrison nous régale de ces petites métaphores qui viennent de nulle part (Chien Brun vient de se faire opérer d'un calcul rénal, ce qui ne tempère point ses envies animales... : "Il hurla et tomba à la renverse sur le cul, le passage du sperme évoquant l'image du plomb fondu que grand-papa versait dans des moules pour fabriquer des plombs de pêche" ; ou encore dans un autre genre : "Malgré sa beauté et son boulot peinard dans les services sociaux, elle avait souvent le moral qui dégringolait plus bas que le cul d'un serpent, pensait C.B".) et certains passages sur les "exploits" sexuels de Chien Brun sont proprement anthologiques :
"Quand la directrice lâcha quelques cris étouffés, il lui adressa un "chut" sans réplique, puis tout fut terminé et une douleur fulgurante tomba du ciel pour envahir sa queue.
Il remonta son pantalon et se dirigea aussitôt vers la table du petit déjeuner afin de boire du café tiède et d'engloutir une saucisse froide avec un toast mou.
"Y a que les hommes pour passer de la baise à la bouffe en un quart de seconde, pouffa la Directrice en remettant de l'ordre dans ses vêtements.""
Individu affreusement maladroit mais terriblement humain, Chien Brun fait indéniablement partie des grands personnages de l'oeuvre d'Harrison. Dans la dernière histoire (Les Jeux de la Nuit), on retrouve un personnage de loup-garou dont les crises mensuelles virent à l'orgie de cul et de mangeaille. Personnage dangereux et sanguinaire, il possède tout de même un petit coeur qui bat ; les aspects excessifs de ce récit sont joliment tempérés par un petit côté romantico-sentimental (un éternel amour de jeunesse pouvant toujours venir sauver la mise) et Jim Harrison s'en donne à coeur joie pour passer en un tour de plume d'un registre à l'autre. Bref, un grand bonheur de retrouver notre Jim avec des personnages souvent border-line mais toujours proches de cette nature magique et sauvage du Montana que l'auteur sait si bien retranscrire. Ludique et lubrique. (Shang - 11/09/10)
Pour ma part j'avouerai une nette déception concernant cet opus harrisonien 2010. Depuis quelques livres, il me semble que le bon Harrison vieillit douloureusement, et franchement, à part ressasser des histoires de cul de plus en plus bâclées, on a du mal à voir où le bonhomme veut en venir. Les Jeux de la Nuit a tout du bouquin de grand-père priapique, beaucoup plus intéressé aujourd'hui par le cul des adolescentes et la cuisson parfaite du steak que par la littérature. Ca peut être attachant, je dis pas, mais à force ça finit par soûler un peu, d'autant que le style si superbe jadis chez l'auteur de La Route du Retour ou de Sorcier est traité de plus en plus comme accessoire : malgré la toujours excellente traduction de Matthieussent, on sent dans ces lignes une absence totale d'application, voire carrément un gros foutage de gueule au niveau de l'écriture. Philosophie parfois carrément ras-la-moquette (dans la dernière nouvelle, notamment, qui dit en gros "la nature c'est beau, la mort c'est inévitable", bon), style qui part en lambeaux, inspirations à la limite de la sénilité (je suis dur, mais jetez un oeil à cette première nouvelle, qui prétend parler d'une jeune fille violée en adoptant son point de vue : le ringardisme est franchement de mise, le viol étant traité comme une joyeuse blague et la nature féminine balancée avec condescendance dans les orties ; Harrison n'a jamais été un grand féministe, ok, mais dans Dalva il avait su merveilleusement se mettre à la place d'une femme, et la traiter en égale des hommes ; ici, c'est à niveau de comptoir) : voilà un livre bâclé, énervant à force de nous traiter comme un public captif pour qui on ne se donne même plus la peine de travailler un tant soit peu.
Heureusement, heureusement, il y a la nouvelle centrale, qui fait revenir l'innénarrable Chien Brun. Et là, je dis oui, là je dis que voilà le Harrison qu'on aime, celui qui respecte son personnage, tente de le comprendre, et joue avec la langue en modeste artisan. Ce n'est pas un grand texte, non, juste une nouvelle qui touche juste par la véracité des personnages, les excès de chaque épisode, la beauté de la nature enfin parfaitement décrite, la foule de petits détails attachants qui fariquent toute une histoire attachante. Voilà des années qu'on suit Chien Brun dans ses pérégrinations, il est devenu un copain qu'on retrouve à chaque fois avec bonheur, et on sent bien qu'il n'y a plus que lui qui intéresse réellement Harrison, le reste du recueil n'étant fait que d'une écriture dispensable au mieux, je m'en-foutiste au pire. (Gols - 10/10/10)