Delamu (Cha ma gu dao xi lie) (2004) de Tian Zhuangzhuang
On connaît super bien la route de la soie, beaucoup moins la route du thé et c'est un tort : reliant la Chine à l'Inde en passant par le Népal et le Bhoutan (elle continue ensuite jusqu'en Europe), cette route mérite le détour, vu les paysages fracassants qu'elle fait traverser. Tian Zhuangzhuang s'intéresse plus particulièrement au tronçon qui relie Bingzhongluo à Chawalong au Tibet, soit quatre-vingt kilomètres d'une petite route ultra tortueuse qui longe la rivière Nujiang. Le cinéaste suit en particulier une caravane de mules qui transportent des denrées entre ces deux bleds ultra isolés. Dès les premières images, difficile de ne pas avoir le souffle coupé devant ce panorama grandiose. Chaque plan d'ensemble qui cadre ses mules allant leur petit bonhomme de chemin est aussi impressionnant que ceux montrant les soldats progressant à flan de colline dans Aguirre. C'est dire. Chaque fois qu'on découvre l'un de ces paysages de folaille, on respire bien fort pour prendre un grand bol d'air devant son écran - ben ouais, c'est ça d'habiter en ville... En plus de filmer ce long et fastidieux périple, Tian s'arrête en route pour interviewer quelques gens du coin. Des hommes de religion qui n'ont pas toujours été à la fête (mais qui ont gardé la foi au fond de leur cellule...), des gaziers qui racontent leurs déboires sentimentaux ou encore des personnes ultra vieilles qui évoquent leurs lointaines aventures.
On fait ainsi la connaissance d'un jeune gars qui explique à quel point son grand frère est bien urbain de lui prêter sa femme de temps en temps... Un ménage à trois qui permet de mettre en commun les ressources, le Tibétain se révèlant ainsi diablement pratique. Il y a aussi cette femme de 104 ans (je lui en donnais bien 342) qui raconte comment elle est devenue aveugle pendant quatre ans après s'être pris un gros coup de vent dans la tronche en allant aux toilettes (tout est dangereux là-bas...), une femme qui prend soudainement des allures de créature magique et immortelle avec ce rai de lumière bleu tombant du ciel qui passe à travers sa main - un plan qu'affectionnerait à n'en point douter là encore le gars Werner Herzog. On est également témoin des mésaventures de cet ancien moine qui est tombé amoureux d'une (très) jeune fille en allant au "dancing"! Le pauvre gars s'est fait ensuite lourder et il semble, depuis, être devenu tout penaud, confiné chez lui... Une multitude d'ethnies, de langues, de religion cohabite dans ce petit coin de paradis (on s'entend...) et une route - par moment terriblement dangereuse (faut faire gaffe aux éboulements...) - qui donne malgré tout des fourmis dans les jambes. De quoi redonner le goût de l'aventure et de la découverte, dit-il le cul sur sa chaise devant son ordi...