Waking Life de Richard Linklater - 2001
Intéressant projet que celui-là, qui prouve que Linklater sait parfois être autre chose qu'un mauvais cinéaste sans esprit. Waking Life est d'une ambition qui fait plaisir à voir, et va chercher dans des endroits qu'on n'osait espérer : faire de l'animation pour adultes, sortir le genre de son statut jeune public (veine Disney/Pixar) ou ado attardé (veine manga), voire même, et c'est encore plus bluffant, l'amener vers l'abstraction. Pour une fois, l'animation ne donnera pas lieu à une énième surenchère dans l'action, l'effet à tout prix, la narration bête et méchante : elle est ici au service d'une profonde réflexion philosophique, et est utilisée dans des possibilités graphiques et "sémantiques" vraiment intéressantes.
Il s'agit, de ce que j'ai compris de ce film pas mal fumeux, de trouver ce qui fait l'essence des rêves : un garçon va suivre un parcours étrange, en lévitation, à la rencontre d'une vingtaine de philosophes, sociologues, critiques (et serial-killers...), qui vont lui exposer leurs théories dans une atmosphère onirique, parallèle, bizarre. Le personnage est-il vivant ou mort, dort-il ou est-il éveillé, c'est la question, dont on se fout carrément : ce qui impressionne, c'est que Linklater ne démord pas de ce concept assez radical : filmer la parole, transmettre un savoir, non seulement à travers les mots et les théories, mais surtout à travers le graphisme. Il en résulte un film très statique, très bavard, qui ne cède strictement jamais à la scène d'action ni à l'esthétisme à tout crin. Certes, les différents artistes qui ont travaillé là-dessus cherchent visiblement souvent à épater la galerie ; mais l'esthétique du film n'est pas forcément aisée, certains dessins sont volontairement brouillés, hachurés, peu consensuels. C'est beau, aucun doute, mais pas d'une beauté admise : on croise là-dedans Bacon, Magritte, Mondrian, voire Tapies, ce qui n'est pas courant dans ce type de production. L'animation sert à suggérer cette irréalité dans laquelle baigne le personnage, et s'avère à la longue une bonne idée pour développer son sujet. La variété des styles, qui parfois se confondent au sein d'une même séquence, est très agréable à regarder, entre peinture contemporaine et BD (l'usage de la ligne claire est particulièrement bienvenu), et Linklater ne refuse jamais une certaine "laideur" trash qui rompt avec le goût commun : les acteurs, redessinés à la palette, en ressortent parfois étrangement tordus (pauvre Ethan Hawke, pauvre Julie Delpy, tout borgnoles).
Bon, cela dit, le gros problème du film, c'est son scénario, pompeux, prétentieux, bavard, fumeux et souvent très chiant. On décroche très vite de ces théories sur le temps, la réincarnation, la mort, l'existentialisme, le cinéma, la réalité, etc. Trop savant, cherchant trop l'admiration dans la complexité de ses concepts, le film devient dans ses dialogues assez inécoutable, d'autant que la vraie science alterne avec des concepts beaucoup plus nazouilles (cette théorie du temps arrêté développée par Philip K.Dick est digne d'une cour de récréation). On finit par ricaner doucement devant cette idée de mort assimilée à une hallucination éternelle mêlant roublardement Kierkegaard, Bazin, Sartre, Deleuze et SF de bas-étage en un seul mouvement. La tentative de vulgarisation de grands concepts philosophique est honorable, le résultat beaucoup moins. Tant pis : on sait gré à Linklater de n'avoir rien lâché de son concept très ambitieux, et on est content que Waking Life existe ; de là à le revoir, il y a un grand pas.