Le Fiancé, la comédienne et le maquereau (Der Bräutigam, die Komödiantin und der Zuhälter) de Jean-Marie Straub - 1968
Ca commence avec un travelling latéral infini comme sait si bien les faire le père Straub. Autant le même dans Itinéraire de Jean Bricard m'avait gavé (il durait 7 heures environ, dans mes souvenirs), autant celui-là, pourtant d'une durée proche, est vraiment de toute beauté, longeant les rues d'une ville allemande by night, faisant surgir ici ou là quelques silhouettes fantômatiques ou des éclats de lumière aveuglants, prenant tout son temps pour nous enfoncer dans une atmosphère étrange que la suite du film saura bien développer. Pour cette fois, l'économie de mouvement si chère à Straub (il n'y a en général que deux ou trois déplacements dans ses films, rendus d'autant plus impressionnants par leur rareté) trouve toute sa justification.
Ensuite, j'avoue que c'est plus mystérieux, et que j'ai été largué par la forme et par le fond du film. Il est question d'une comédienne à la solde d'un maquereau, qui s'éprend d'un type et décide donc de liquider son passé (au sens propre, puisqu'elle finira par buter son mac). Enfin, je crois... A grands coups de citations sentencieuses, Straub met une nouvelle fois en oeuvre son austérité terrible de filmage : après le travelling, on a droit à un plan séquence longuissime sur une petite scène de théâtre, sur laquelle évoluent froidement les personnages, qui récitent leur texte sans intonation et en quatrième vitesse. Renseignements pris, il s'agit d'une pièce de Bruckner, ici mise en scène sous la forme d'un happening bien de son époque : chaque "tension" de la trame est effacée au profit d'un jeu implacable d'entrées et de sorties, de gestes mathématiquement exécutés, et de dialogues envoyés au plus rapide. On croit qu'on va finir là-dessus, mais Straub a encore un lapin dans son chapeau, et nous offre une troisième partie pour le coup inattendue de sa part.
Cette dernière partie est constituée de quelques plans relativement nerveux et rapides pour boucler l'histoire dans le drame, avec même au menu une course-poursuite dans la campagne allemande, et un assassinat (Fassbinder, visiblement ravi, en victime). Chez Straub, ça équivaut en gros à du Tarantino chez Bresson. On sent, au final, que Le Fiancé, la comédienne et le maquereau a bien envie de dire un truc, peut-être de politique (le fiancé est un black qui doit bien être symbolique de quelque chose). Mais j'avoue que j'ai été un peu largué, et que je me suis satisfait de la seule forme du film, implacable, sans concession et parfois très intrigante. Pour le reste... Bon, pour m'en tirer sans trop de dégat, je dirai que voilà une rareté dans l'oeuvre du compère, toujours bonne à prendre de ce fait. Je vous promets d'y réfléchir. Ou pas.
Tout Straub et tout Huillet, ô douleur : cliquez