Une Femme indomptable (Arakure) (1957) de Mikio Naruse
Hideko Takamine trouve encore une partition de choix dans ce rôle de femme boudeuse, violente parfois, mais terriblement pugnace. Pas facile de faire son trou dans ce monde d'hommes, qui peuvent se permettre des écarts de conduite, quand une femme en est réduite à trimer ou à passer pour une prostituée à la moindre occase. Hideko n'a pas un caractère de Flamby, ne peut s'empêcher de répondre du tac au tac dès lors qu'elle se sent attaquée, ce qui a forcément des incidences ennuyeuses dans ce monde où une femme se doit de ne pas hausser la voix. On pense dans un premier temps assister à sa chute irrémédiable, mais celle-ci trouve toujours le moyen de rebondir. Même si ses déceptions amoureuses et conjugales se multiplient, elle espère toujours trouver le bon parti pour pouvoir mener sa barque dans ce monde de mâles.
Après avoir fui la veille de son mariage - une union arrangée avec le fils (po vraiment l'exemple même de la "classe") de sa famille adoptive -, elle se retrouve avec un nouveau parti guère plus excitant : Ken Uehara s'occupe d'une petite boutique dans laquelle Hideko ne compte pas sa peine, mais il ne tarde pas à accuser celle-ci d'être une trainée; alors même qu'Hideko évoque le fait d'être enceinte, il doute de la paternité de l'enfant... Cela lui permet surtout de poursuivre une liaison en toute impunité avec son ancienne maîtresse (la femme d'Uehara était morte après une longue maladie); Hideko ne veut pas s'en laisser compter, rend visite à la donzelle pendant que son mari s'y trouve et l'ambiance est tendue comme une ceinture de kimono... La guerre est déclarée au sein du couple et s'achèvera par la chute dans les escaliers, après une violente dispute, de notre pauvre Hideko. Fin du premier acte...
Pour éponger les dettes de son frère, Hideko se retrouve à faire la bonne dans un hôtel situé à la montagne. Elle prend son mal en patience, toujours au taquet quand il s'agit de bosser; elle ne tarde point à capter l'attention du gérant, le paisible et romantique Masayuki Mori; seulement il y a comme un hic dans cette relation, c'est que primo Masayuki est déjà marié (sa femme est malade (lui aussi !), mais tout de même...) et que, secundo, cette liaison est vu d'un sale oeil par les propriétaires de l'établissement. Mori a beau faire les yeux doux à Hideko en lui demandant d'être patiente, celle-ci se refuse à jouer le rôle de la concubine... Il va falloir qu'elle reparte à zéro, fin du deuxième acte - même si Masayuki et Hideko continueront plus tard à se fréquenter.
Elle trouve un petit taff de couturière chez une parente et sue encore sang et haut pour mettre de côté un petit pécule. La qualité de son travail et surtout son rendement attirent l'attention de l'inénarrable Daisuke Katô (omniprésent chez Naruse sans parler de ses multiples contributions chez Ozu, Mizoguchi ou Kurosawa : on ne louera jamais assez les qualités de ce "second couteau" - il est grand temps de le signaler, au passage). Il lui propose de venir bosser sur une machine dans une usine où la main d'oeuvre est, jusque là, exclusivement masculine, et Hideko ne tarde pas à faire son trou, aussi bien dans la couture que dans son sens du négoce. Daisuke Katô et Hideko sympathisent et décident de s'unir pour monter un petit business. Ce troisième acte sera marqué par des hauts et des bas : des affaires qui fleurissent avant de péricliter... puis de repartir, des rapports intimes éminemment cyclothymiques au sein du couple (quelques instants de calme entre deux violentes disputes - donnant lieu à deux séquences particulièrement "tapageuses" : Hideko, reprochant à son mari sa paresse, l'attaque avec un jet d'eau pour "le réveiller" et, plus tard, lui tombe dessus à bras raccourci quand elle le surprend à dragouiller une autre femme)... Daisuke entretenant par la suite une liaison avec... l'ancienne maîtresse de son premier mari (chaque femme a ses propres armes : pour certaines, c'est la séduction à tout crin, pour d'autres, comme Hideko, c'est la volonté farouche de s'affirmer par son taff), Hideko décide de le lourder et de s'associer avec le quatrième homme de l'histoire, l'immense Tatsuya Nakadai, l'homme au regard de braise... Le quatrième acte reste en suspend...
Récit plutôt mouvementé où chaque fois, Hideko trouve toujours un moyen pour aller de l'avant - truculente scène dans ses habits occidentaux sur son vélo... (elle vendra son trousseau de mariage pour ouvrir une boutique, demandera une aide financière à Masayuki (auquel elle restera jusqu'au bout "fidèle" : joli moment de recueillement sur la tombe de celui-ci dans les montagnes : il restera son
"summum" au niveau sentimental) pour tenter à nouveau l'aventure dans la couture). Naruse n'hésite point, parfois, à faire de longues ellipses entre deux épisodes, mais on reprend toujours le train en route assez facilement. Si le personnage de Shima interprété par Hideko Takamine n'est peut-être pas le plus "tendre", voire romantique, de ses portraits féminins (po du genre à faire dans la dentelle quand elle est vénère, la bougresse), c'est sûrement l'une de ses figures les plus volontaires et les plus farouchement déterminées à s'émanciper. On perd sans doute un peu au niveau de l'émotion (si on se réfère une nouvelle fois aux chefs-d'oeuvre narusiens) - la première séparation se fait dans la douleur, la dernière tourne au burlesque -, mais le film n'en demeure pas moins passionnant par ses multiples rebondissements et les nombreux décors (petite boutique, hôtel touristique situé au grand air, atelier de confection, maison de geisha...) qu'il donne à traverser. Hideko Takamine, au milieu de ce casting masculin de "choix", fait en tout cas à nouveau preuve de son immense talent, dans le rôle de cette femme éternellement combative, à une époque (l'ère Taisho (1912-1926)) où celle-ci, ayant des "droits limités", devait garder "son rang" - dans l'ombre...







