Blue Gate Crossing (Lan se da men) de Yee Chih-Yen - 2002
Les films qui parlent d'adolescence sont légion, mais ceux qui savent en parler ne sont pas si fréquents. Blue Gate Crossing en fait partie, discrètement et sans esbroufe, et on passe un moment à croquer avec cette petite bande de mômes en proie aux affres des premières amours. Yee capte quelque chose de très juste dans ces trois portraits croisés : une jeune fille en plein questionnement sexuel (filles ou garçons ? Le choix est vaste), sa copine un peu quiche qui hésite à déclarer sa flamme, et le garçon typique, acnée, sourires creux et gentillesse à revendre. Rien de plus que ça, les danses incessantes de l'un vers l'autre, les petites trahisons, les grandes promesses et les regards étonnés devant la complexité de la vie ; mais Yee sait faire montre d'un talent d'écriture indéniable, qui attaque frontalement les choses tout en gardant une saine pudeur face aux mystères de cet âge-là.
Comme dans Naissance des Pieuvres (mais un cran en-dessous quand même, le film ne parvenant pas à aller plus loin que ce simple sujet), comme dans L'Effrontée (sans la violence), Yee fait passer la découverte de l'amour par celle des corps. La "Blue Gate" du titre anglais, c'est une piscine, lieu des fantasmes sexuello-romantiques, où un garçon nage suavement la nuit tombée, sous le regard des deux donzelles énamourées. Regard sur les corps autant que purification, on a droit à toute une subtile symbolique, qui passe aussi par ces quelques scènes superbes sur des jeunes gens en vélo : qui se suit, qui se dépasse, qui stagne, qui va à la rencontre de qui ; la mise en scène est discrète mais très jolie dans ces séquences qui enregistrent pleinement la puissance du physique, la mutation de ces corps en train de devenir adultes. Dommage que le film reste seulement mignon, qu'il ne parvient pas à trouver la cruauté qu'il semble viser par moments. Mais tel quel, on a droit à un regard très attentif sur ces êtres en passe de franchir la frontière, de devenir grands. L'actrice principale, Chen Bo-Lin, est parfaite dans ce flou entre minauderies de gamine et visage sérieux de l'âge mur. Les scènes sont explicites, certes, parfois même premier degré, mais après tout ça fait du bien qu'on nous dise aussi parfois concrètement les choses sans s'embarasser de complications inutiles. D'autant que Blue Gate Crossing sait aussi se faire plus mystérieux par moments, et que sa mise en scène semble toujours couler de source (la caméra au bon endroit, à bonne distance, les dialogues simples et droits). Le film est oubliable mais le revendique, c'est tout à sa gloire. Touché, le petit Gols.