Quatre Hommes et une Prière (Four Men and a prayer) de John Ford - 1938
Une oeuvrette très plaisante de la part de Ford, nouvelle variation sur "les hommes entre eux" à travers les portraits de quatre frères au coeur d'or. Leur popa est injustement accusé de haute trahison, puis abattu avant de pouvoir se réhabiliter aux yeux de ses fistons. Ceux-ci s'organisent donc en réseau de détectives pour remonter la source du tueur et rendre son honneur posthume au pater. L'intrigue est joliment menée, avec ce qu'il faut de fêlons, de témoins assassinés juste avant qu'ils ne prononcent le nom du tueur, de rebondissements et de happy end. Four Men and a prayer est une occasion pour Ford de voyager un peu, puisqu'on est trimballés de Londres à Alexandrie en passant par Buenos Aires, toujours avec ce petit aspect vintage de studios hollywoodiens qui a décidément plein de charme. Surtout, c'est un vrai bonheur d'acteurs, chacun de nos quatre bougres étant doté d'un mignon caractère bien tenu de bout en bout : entre Sanders en aîné de la vieille école anglaise et David Niven en gentil naïf (il a quelques scènes où il se passionne pour des joujoux pour chiens proprement hilarantes), Richard Greene en jeune premier romantique et William Henry en solide bras-droit, on navigue avec bonheur dans les sous-intrigues et les personnalités. D'autant que pour couronner le tout, on a droit à une Loretta Young en forme(s), en espionne malgré elle, véritable victime sacrificielle du pouvoir masculin : elle détient la vérité, mais passe l'ensemble du film à tenter de se faire entendre.
La plus grande qualité du film est de valser sans cesse entre les atmosphères. C'est la comédie qui domine, jusques et y compris dans les moments tendus, grâce donc à ces acteurs très finauds, mais aussi grâce à une série de gags savoureux. Ford se permet de quitter complètement son intrigue pour le seul plaisir d'une petite scène de comédie absurde (un serviteur qui parle comme Donald Duck, et qui ne comprend que le langage canard, il fallait l'inventer). Mais brusquement, le film sait renverser la vapeur et nous plonger dans d'impressionnantes séquences de drame, comme cette inattendue fusillade qui décime deux douzaines de figurants en quelques secondes (et qui vient juste après un gag, d'ailleurs), ou comme cette solennelle scène de mise à mort magnifique dans ses détails : un homme qui va être fusillé est contraint d'accepter une dernière cigarette alors qu'il ne fume pas, juste pour préserver les apparences. Enfin, Ford en profite aussi pour balancer quelques vannes sur les Anglais opposés aux Américains : le majordome anglais qui veut retirer son manteau à l'Américaine : "C'est une robe", répond-elle ; ou le gars qui se fait insulter par un Indien ("You english dog !") et qui répond : "Me ? English ?". Bref, beaucoup de choses à grignoter dans cette petite chose modeste, c'est du bonheur, pas de doute.