L'Eté du Démon (Kichiku) (1978) de Yoshitaro Nomura
Je m'attendais à quelque chose d'horrible, dans le genre "film d'horreur", voyez, mais c'est plutôt au niveau psychologique que le film s'avère vraiment terrible et angoissant; imaginez seulement l'idée de départ : une concubine, au bout de sept ans à ramer avec ses trois gosses (entre 1 an et 5), décide de payer une petite visite au père des bambins. Elle le trouve dans une petite imprimerie avec sa femme, bien surprise d'une telle visite. La concubine largue les trois mômes et sous la pression de sa femme, le mari décide, plus ou moins la mort dans l'âme, de s'en débarrasser, l'un après l'autre. On pensait pas le truc possible, mais le bougre va s'y atteler...
Peut-être que visuellement, il n'y a rien d'extraordinaire - belle photo pour les seventies... - mais la dramaturgie du bazar renforcée par un jeu d'acteurs terrible de réalisme (du pater en passant par cette femme démoniaque jusqu'aux mômes impeccables) et par une musique qui sait vous scier les pattes au bon moment, vous plonge peu à peu dans un véritable cauchemar dont il est difficile de se relever indemne. Rarement vu au cinoche un personnage aussi antipathique et terrifiant que cette "belle-mère", véritable mégère non apprivoisée, qui traite les trois bambins comme du poisson pourri et fout la pression sur son mari pour qu'ils disparaissent de sa vue. Ce dernier, petit moustachu assez faiblard, qui paie sa double vie au prix fort, rentre malgré tout dans son jeu et sacrifie littéralement ses propres gamins aux désidérata de sa compagne - avec laquelle il n'a pas eu d'enfant. Et c'est tout simplement affreux. A mesure que le film avance sur un faux rythme, on s'attache forcément de plus en plus à ces gamins laissés à leur sort et l'on pense que la fibre paternelle sera finalement plus forte que tout... On se fout bougrement le doigt dans l'oeil, à tel point qu'on en arriverait presque à souhaiter s'en mettre un dans les deux yeux pour ne pas assister à la suite... Impossible de rentrer dans les détails sans dévoiler la trame, mais rien que la confrontation finale est une séquence qui ferait monter des larmes à une endive...
Toute la réussite de Nomura finalement est de nous conter cette histoire presque l'air de rien, sans chercher le plan virtuose, pour laisser s'installer un certain réalisme. Les actes de ce couple infernal ont suffisamment de force en eux, par leur cruauté, leur lâcheté, leur manque totale d'empathie pour ces pauvres gosses, pour que l'oeuvre finisse par vous sécher et vous laisser, tout abasourdi, le cul sur votre fauteuil. Beaucoup de séquences assez banales en soi mais la fin, en particulier, possède une telle force qu'elle vous amène à considérer l'ensemble du film d'un autre oeil. Bref, à regarder en serrant des dents si on veut tenir jusqu'au bout... Diabolique, oui, définitivement. (Shang - 18/01/10)
Le petit texte ci-dessus du gars Shang donne diablement envie de se pencher sur la chose, n'est-il pas ? Eh bien, même constat : on a affaire ici à un vrai film-coup de poing, qui sait très subtilement manier un sujet casse-gueule par excellence : la mort des enfants, l'abandon, le crime et le châtiment (Dostoïevski est d'ailleurs très présent là-dedans). Ce qui force le respect, c'est la simplicité du film, son absence totale de poses et de crânerie. On voit les choses se dérouler méthodiquement, presque mathématiquement, sans qu'il soit besoin de rajouter moult effets là-dessus. Pourtant, cet aspect rigoureux n'étouffe jamais le film, qui reste profondément bouleversant (même état que Shang sur les dernières scènes) et tourné vers le sentiment. La longue errance du père et de son fils dont il essaye de se débarasser force le respect par ce mélange de rigueur épurée de la mise en scène et de sentimentalisme profond dans les motifs : le gosse, craquant, regarde émerveillé les singes du zoo, mange gentiment ses sandwiches, regarde son père avec un amour immodéré, dans le même temps que celui-ci fomente le pire crime possible. Nomura excelle à mettre à jour la complexité humaine sans en faire des tonnes, à l'image de ce plan ravageur sur un regard échangé entre une fille et son père qui l'abandonne, plan de deux secondes mais dont on sent bien qu'il va durablement marquer la rétine. Il y a dans ce simple agencement des êtres les uns par rapport aux autres toute la complexité de l'existence, et si la mise en scène sait se faire discrète, elle n'en est pas moins subtilement précise et pensée. Le film va au bout du bout de son projet, et on reste baba devant l'audace du sujet. Vraie découverte, gloire en soit rendue à mon camarade. (Gols - 14/02/10)