Ce n'est qu'un Au revoir (The Long Gray Line) de John Ford - 1955
On ne peut pas dire que John Ford ait jamais été un anti-militariste. Mais avec The Long Gray Line, il pousse encore d'un cran plus loin son amour immodéré pour les faits de guerre, quitte à flirter dangereusement avec la mauvaise foi et le réactionnaire le plus simpliste. Ce film défie même les documentaires directement propagandistes des années 40, excusables du fait de leur contexte historique : ici, l'armée est déifiée sans raison ; on aurait pu penser, surtout au vu de quelques films subtils comme The Searchers ou plus tard Cheyenne Autumn, qu'en vieillissant, le vieux maître avait nuancé ses idées de droite ; voilà un sévère démenti à cet espoir.
Le film est une longue fresque s'étendant sur presque 50 ans, qui raconte l'histoire d'une académie militaire américaine, à travers le portrait d'un homme : Marty Maher (Tyrone Power, excellent, émouvant, drôle, dynamique, aussi cérdible en jeune bleu qu'en vieux de la vieille), irlandais (comprenez sur-homme) qui traverse toutes les périodes militaires des States dans cette institution. La première heure est un adorable moment de comédie échevelée et sans prétention : Maher débarque là-dedans en débutant, essayant tous les postes, cuistot, maître-nageur, instructeur, tout aussi incompétent dans chacun d'eux. Ca donne une succession de scènes gaguesques impeccables, filmées dans une joie évidente par un Ford très enfantin. Pour une fois, la tragédie, c'est-à-dire la guerre, est laissée au second plan : on assistera pas à un de ces combats dantesques dont Ford a le secret. A la place, le quotidien croquignolet de cet homme face aux autres hommes, son ascension pleine d'accidents. Le personnage est très joli, tout comme l'est celui de sa femme (Maureen O'Hara, craquante comme tout), qui forme un duo hyper-photogénique avec lui. C'est coloré, très enlevé, les dialogues claquent, c'est parfait. On est reconnaissant à Ford de mettre un brin de non-conformisme dans son sujet habituel : le corps militaire y est traité comme un terrain de jeu pas très sérieux, où on s'exalte plus pour le football que pour la hiérarchie.
Et puis doucement, le film se fait ensuite plus grave. Première, puis deuxième guerre mondiale : il faut bien se résoudre à voir mourir les soldats. Encore une fois, Ford reste aux Etats-Unis, préférant rendre compte de la guerre depuis l'arrière : on suit l'entraînement des soldats, on assiste à leur joyeux départ pour l'Europe, puis on apprend leur mort, point. C'est effectivement implacable, et il y avait là de la place pour une critique caustique de l'absurdité militaire. Mais Ford ne mange pas de ce pain-là, et place encore une fois sa virilité et son sens de l'honneur à un douteux endroit. Quand Maher apprend la mort de ses meilleurs amis au front, il doute 32 secondes environ de la viabilité du métier de soldat, puis retourne à toute vitesse saluer le drapeau, entonner des chants guerriers et se prosterner aux pieds de la Vierge. Pas une tafiole, le gars, nom d'Diou. On tique pas mal devant ces vastes tableaux de manoeuvres militaires : des tas de figurants marchant dans un ensemble rigoureux au son des fifrelins, une poignée de gradés les larmes aux yeux qui les contemplent raides comme des piquets, ça semble suffire comme discours. Le ressort comique, consistant à montrer Marty démissionner puis se réengager inlassablement, est un peu étouffé sous cette propagande simpliste. Ford n'est définitivement pas un intellectuel : patriote quoiqu'il arrive, il perd ici l'occasion de nuancer son éternel discours.
Pourtant le film reste très noble, très agréable à regarder. Le rythme de l'ensemble est toujours nickel, la somme d'anecdotes, les beaux personnages, la modestie du filmage (surtout compte-tenu de l'ampleur du dispositif : le film est friqué, c'est clair), tout ça remporte le respect. S'il n'y avait pas cette idéologie basse du front, on aurait eu un grand Ford.