K-19 : Le Piège des Profondeurs (K-19 : The Widowmaker) de Kathryn Bigelow - 2002
Un bien beau film de personnages que nous offre ici la Bigelow, décidément habile pour inventer des êtres complexes et pour diriger des acteurs. K-19 est un film d'action, on ne va pas subitement demander à Bigelow de nous faire du Pialat ; mais elle parvient comme à son habitude à donner une vraie densité humaine à ce genre sur-balisé, et à émouvoir joliment tout en maintenant un captivant suspense premier degré. On se situe entre Hawks pour le meilleur et Alan pakula pour le pire, c'est plein de défauts et de lourdeurs, mais tout de même : c'est bien agréable.
Au rang des défauts, il y a ces propensions propagandistes assez gavantes. Bigelow doit estimer très courageux de montrer un épisode de la guerre froide depuis le côté soviétique, et c'est vrai qu'on est surpris, au départ, de retrouver nos bonnes vieilles tronches américaines (Harrison Ford, Liam Neeson) dans les costumes militaires russes. Ils se contentent de rouler ridiculement les r, et pratiquent un anglais impeccable, le courage ne va pas non plus très loin. Mais ce n'est pas tout : pour vraiment donner à voir les arcanes politiques du versant est, encore eut-il fallu que le scénario modère un peu ses élans héroïques : Ford, en patriote obsessionnel, passe du rang de crétin militariste totalement dévoué au Parti à celui de héros grandiose quand il sauve ses gars de la mort. Pas un brin de nuance dans le discours : on nous demande d'adhérer sans réserve au personnage, sous prétexte de son courage. Peu importent les moyens, en gros, pourvu que le résultat soit là ; peu importe que les motivations de Ford soient fascistes et basses du front, pourvu que ses hommes soient sauvés. Douteux, bien douteux, et on regrette encore une fois que Bigelow ne soit pas "intelligente" dans son discours et se contente d'un simple film d'action couillu et inconscient politiquement. Je comprends bien le rejet de la dame du cinéma intellectuel, mais ici, le sujet nécessitait peut-être d'autres pincettes.
Au rang des réussites, heureusement nombreuses : les personnages, donc. Bigelow s'immerge littéralement au sein d'une distribution purement masculine, et ne se contente pas de simples blocs (communistes). Les personnages sont complexes, surtout dans le joli travail de Neeson, entre héros juvénil et cow-boy à la John Wayne. Son rôle met un peu de nuance dans le discours politique premier degré, en chargeant cet être dévoué à sa patrie d'une douceur et d'une compréhension très agréables à regarder. Les personnages secondaires, petits soldats confrontés au danger et à leur conscience politique, ont tous droit à leur moment de gloire, à leur petit caractère. On reconnaît la marque-Cameron dans cette façon de ramener toujours l'intime au premier plan, de ne pas sacrifier la beauté des personnages au profit du grand barnum de l'action. Cameron est omniprésent, mais presque en négatif ; c'est même troublant de constater combien l'homme du couple (Cameron donc) a réalisé un film sentimentalissime (Titanic), et que sur un sujet à peu près semblable, sa femme (Bigelow) réalise un film viril privé de toute trace féminine. K-19 suit tous les épisodes de Titanic à la trace, mais sans la trame sentimentale : un naufrage, les comportements variés de ses victimes (héroïsme, lâcheté, violence, fuite...), et une poignée d'hommes qui tente de sauver les meubles en se sacrifiant. Même si Bigelow ne parvient pas vraiment à la puissance lyrique de son modèle (il y manque cette atmosphère d'enfermement, de destin désespéré), on apprécie cette épure modeste. Plein de défauts, mais au final assez émouvant et assez bien écrit pour sortir du rang des "films de sous-marins" classiques.