Strange Days de Kathryn Bigelow - 1995
Scénario efficace, mise en scène élégante, sens de la narration très joliment utilisé : rien à reprocher à ce petit polar science-fictionnesque de dame Bigelow. Héritant de son mari (Cameron, également scénariste et producteur de la chose) un vrai talent dans la façon de construire son histoire, elle propose un moment sympathique. C'est vrai que c'est là aussi que le bât blesse : Strange Days ne trouve ses qualités que dans ce qu'il n'est pas : il n'est pas mal, pas inintéressant, pas mal joué, pas ennuyeux, pas mal écrit. De là à dire qu'il est bon, intéressant, formidablement joué, passionnant et subtilement écrit, il y a un pas que Bigelow ne franchit jamais. On reste dans une classique esthétique légèrement futuriste, constituée de motifs crédibles (une ville vouée à la déréliction de la violence des gangs), avec juste ce qu'il faut de gadgets et de costumes étranges. Le scénario, intriguant, développe sans aller au bout de la chose une thématique sur le danger du regard, sur le voyeurisme, sur les limites du spectacle ; une histoire de casque-télé qui, une fois coiffé, vous plonge concrètement dans le film regardé, sensations à la clé. On imagine le pouvoir érotique et morbide de l'objet, mais tout ne passe ici qu'à travers les descriptions verbales, le film est très frileux visuellement, et crie au loup dès qu'il faut aborder concrètement le sexe ou la mort. La fatale Juliette Lewis balance pas mal de phéromones femelles lors de ses scènes de rock'n roll (elle braille du PJ Harvey avec conviction en roulant des hanches comme une damnée), on apprécie, mais tout ça reste au niveau du strip-tease sur papier glacé là où on aurait apprécié du trouble.
On imagine ce qu'auraient fait De Palma ou Cronenberg de ces réflexions sur le regardant/regardé, sur le pouvoir de l'Oeil, sur l'aspect dictatorial du cinéma : un opéra baroque délirant et profond pour l'un, un essai torve sur les déviances sexuelles pour l'autre. On se contentera gentiment d'un film de castagne, Bigelow ne poussant jamais ses thèmes de peur sûrement de pondre un film intello. Son truc à elle, c'est l'action, et si elle se montre bien efficace dans les scènes de baston, on soupire un peu devant les limites de la chose, d'autant que la trame aurait pu être beaucoup plus intéressante ; il suffisait de prolonger les idées. C'est pourtant plaisant, grâce à l'abattage des acteurs (mention à Angela Bassett, curieuse silhouette hermaphrodite, voix cassée, et planchette japonaise affûtée), à cette façon hollywoodienne de savoir toujours relancer l'action quand il le faut, en un mot à ce premier degré assummé qui fait de Strange Days un agréable film couillu. Un film parmi les 3310 de ce blog.