Epidemic de Lars von Trier - 1987
Le bon Lars aura attendu que sa carrière démarre vraiment avant de produire son film de fin d'études, ce qui ne manque pas de panache. Epidemic a en effet tout du film expérimental roublard tel qu'en produisent les élèves en cinéma, et le moins qu'on puisse dire est qu'il ne marche pas vraiment sur les traces de ses ancêtres. Avec ce film (comme avec Element of Crime, dans une moindre mesure), on voit vraiment naître un cinéaste, un regard, et tous les éléments du cinéma de von Trier sont déjà là, les plus gavants (prétention, dandysme, provocation gratuite) comme les plus géniaux (le sens du regard, la brutalité, la radicalité). A part Dreyer, dont on reconnaît ce goût pour le noir et blanc très contrasté, la lenteur des rythmes, et le mélange de mysticisme et de violence crue, et à part Tarkovski, dont il reprend quelques plans, difficile de rattacher ce machin résolument barré à qui que ce soit, et on peut considérer ça comme une qualité.
Le film n'est pas un chef-d'oeuvre, trop alourdi par des tics de petit génie un peu soûlants : Lars veut se démarquer, et s'il y arrive c'est souvent au prix d'une philosophie un peu courte, de pas mal de plans inutilement malsains, d'une volonté puérile de rester opaque. On ne comprend pas trop certaines idées, comme celle de laisser le titre du film dans le coin gauche de l'écran, du début à la fin, comme cette scène de dissection, comme ces détails de personnages inutiles (l'obsession du producteur pour les anoraks, gu ?). Franchement, sauf à prendre des poses d'intellectuel maudit, on ne voit pas pourquoi von Trier s'évertue à brouiller les pistes : son scénario est pourtant simplissime et intéressant, et aurait largement pu suffire sans rajouter ces motifs pompeux.
Mais malgré ces réserves, ça fonctionne plus que bien : le gars arrive à parler métaphysique avec profondeur, livrant avec 2 francs 6 sous une ample réflexion sur le réel et l'imaginaire, sur la force des images, et même, en creux, peut-être, sur l'identité européenne. On suit en parallèle deux histoires : celle du réalisateur et de son associé écrivant un scénario dans leur appartement ou sur la route ; et celle du film lui-même, montrant le voyage d'un médecin qui veut lutter contre une épidémie qui s'étend à l'Europe, et qui propage lui-même le virus. Deux mondes différents qui peu à peu vont se mêler, l'associé tombant malade, les décors se vidant vers de plus en plus de morbidité, et la peste faisant au final une apparition tonitruante dans le monde réel. On peut y voir un essai sur la force de l'inspiration (la création qui envahit la réalité, classique) ou sur l'obsession vréatrice ; mais tout ça est fait avec un tel humour "à froid" qu'on peut aussi voir ça comme une grosse farce provocatrice sans vraie direction. On apprend dans les bonus que Epidemic a été fait sur un pari (réaliser un film avec un budget dérisoire en quelques jours et sans scénario), et ma foi, le résultat ressemble à ça : un coup d'audace fabriqué par un génie "bridé". Le dernier quart-d'heure, malgré la contrainte, n'a rien à envier aux meilleurs films d'horreur : il est proprement stupéfiant, insupportable, et possède l'aura des meilleurs brulôts undergrounds qui soient. On y sent déjà la patte des Idiots, avec ce jusqu'au-boutisme dans le malsain qui force le respect.