Courts-Métrages avec ou de Jacques Tati
L'Ecole des Facteurs (1947) de Jacques Tati
On a beau avoir vu et revu trois cents fois les mêmes gags, on se fend toujours autant la pipe devant le fameux déhanché du Jacques et son fameux lancé de sacoches, incontournable dans toute bonne école de facteurs (à l'époque, révolue, où on avait le temps de rire et de boire un canon en route). Droit comme un i sur son biclou, Tati nous livre en 15 minutes un festival de situations cocasses (le remorquage en camion, le vélo accroché à la barrière du passage à niveau qui me fait toujours gondoler, le vélo sans conducteur qui file pendant des bornes avant de s'arrêter tout seul au bistrot, le dépassement, tranquillou, des pros qui s'entrainent...), de jeux de mots finauds (Jacques à un client qui vient de chuter lourdement : "Ah ben tu tombes bien" et de lui tendre une lettre) et de cascades d'équilibriste (le passage entre les bagnoles ou les vaches, ou le détour acrobatique via le fossé). Jacques est grand, très grand et ce court métrage nous fait apprécier son sens infini du tempo, aussi bien dans ses gestes de mime clownesque que dans ce montage trépidant... Totalement timbré, la meilleure pub de tous les temps pour la Poste.
Cours du Soir (1967) de Nicolas Ribowski
Tati en prof, ou comment démontrer que le mime est avant tout une question d'observation pointue. Tati se met donc dans la peau du fumeur - la première cigarette du matin, la meilleure mais la plus difficile, CQFD -, du joueur de tennis ("A la moindre erreur du joueur, c'est la raquette qui en prend la responsabilité"...; l'hésitation et le manque de réflexe du débutant, incontournable), du pêcheur (le "déroulage du fil", le lancer et l'art de l'attente, pas de doute on a affaire à un pro), une petite resucée vintage avec quelques changements de l'Ecole des Facteurs, les différents styles pour monter un cheval (plan fixe sur une portion du manège et Tati qui trouve toujours le moyen de trouver une petite variation) et pour finir hommage à lui-même en grand maître du micro-accident avec "le ratage de marche" et "la prise de colonne dans la tronche": le prof montre, les élèves imitent mais aucun ne lui arrive à la cheville. On sent que Tati se fait plaisir et même si cela est peut-être un peu répétitif, la leçon de tennis face au mur vaut à elle seule le détour.
Forza Bastia (2002) de Jacques Tati et Sophie Tatischeff
Bon, ça, je suis prêt à parier un paquet de Lustucru 500g que mon comparse ne l'a point vu, puisque ce petit documentaire se focalise sur le match aller de la coupe d'Europe entre Bastia et Eindhoven en 1978 - Oui, en 2002, le pauvre Jacques était déjà mort et enterré depuis 20 ans et si cette petite chose était restée inédite, on n'aurait pas non plus crié au scandale... Bref, Tati tente de capter l'ambiance d'avant-match avec ces supporters de football qui font toujours preuve en cas d'urgence d'une ingénuité de diplômés de polytechnique : habillage de chien aux couleurs de l'équipe, mise en place d'un canon sur le toit d'une voiture, accrochage de drapeau sur la croix de l'Eglise (ah le Corse ne rechigne jamais à l'effort dangereux pour son équipe, comme tout bon supporter en transe)... Les enfants sont plus bruyants que d'habitude, les grand-mères agitent les drapeaux comme s'il s'agissait d'un concert rock de Tino Rossi, le Corse en général exulte. La pluie fait son apparition et le terrain se retrouve plus gorgé d'eau qu'une éponge après la vaisselle. La pelouse prend des airs de rizière et on sent bien que le Jacques doit se réjouir derrière son oeilleton d'assister à un tel carnage. Pas question en tout cas d'annuler le match, déjà que le Corse fait péter des bombes en temps normal, il serait bien capable cette fois-là de faire couler l'île... On assiste alors à une parodie de football comme dirait l'autre, le match se jouant dans une gadoue birkinienne. Tati s'intéresse surtout aux réactions désabusés et philosophiques (enfin les insultes pas trop quand même) de ces pauvres spectateurs impuissants qui assistent à un non-match... 0-0, score final du match aller (tout ça pour ça), Bastia se prenant une branlée au match retour 3-0 (je le dis pour le non-initié). On a droit à quelques plans sur les déchets qui jonchent les tribunes après le match, rien de vraiment suprenant, le supporter de football n'ayant jamais été connu pour être particulièrement éco-friendly... Bah, Tati tente de capter cette ambiance de fête gentillette et un poil fofolle, pour la mémoire, concluerons-nous mollement...