Sin Nombre (2009) de Cary Fukunaga
Toujours dit que "faire partie d'un gang", c'est bien quand il y a de la baston, mais terriblement dangereux quand on trahit les siens. D'autant qu'un membre de gang, s'il sait faire preuve de beaucoup d'imagination pour se faire remarquer (des tatouages grotesques sur le visage, des façons de se saluer qui ridiculiseraient un franc-maçon, des cérémonies dont seuls les initiés peuvent capter la finesse (pour rentrer dans le clan, tu dois te faire tabasser comme un âne pendant que le chef compte jusqu'à treize (pas douze, ni quatorze, treize - tu peux dire par exemple 3 fois "douze", si tu veux que cela dure plus longtemps, mais au final, à 13, tout le monde s'arrête, voilà) ou encore des armes qui font froid dans le dos (tu assembles deux tuyaux, tu fous un noyau de pêche dedans et tu obtiens un 357 Magnum...); ou encore, les membres de ce gang dit de la "Mara Salvatrucha" semblent faire la parodie d'une chanson de Michel Fugain quand l'un des leurs est mort - bizarre tout de même - photo ci-dessous), oui, donc, s'il peut être terriblement créatif d'un côté, le membre d'un gang demeure un type totalement dénué d'humour de l'autre. L'homme de gang n'est pas un homme à gag, exactement. Tu en feras les frais pas seulement si tu appartiens au clan adverse - tu pourras prier la Sainte Vierge, te rouler par terre pour implorer le pardon, tu ne feras pas varier d'un micron le type qui t'a attrapé pour te détruire - mais également si tu déconnes avec les tiens. C'est ce qui va arriver de terrible à notre héros, El Casper (aucun lien de parenté avec... non aucun). Faut dire, qu'à sa place, avant de commettre l'irréparable, il y avait de quoi être énervé : primo, pour un petit mensonge (il a déserté sa position pour aller faire crac crac avec sa douce, une fille en dehors du gang), il s'est fait tabasser sa mère; secondo, quand sa petite amie vient le saluer à la fin d'une réunion de gang (qui a lieu dans un cimetière, le seul point commun avec le parti socialiste), le chef la prend à part, bon, s'apprête à la violer, c'est mal, et lui fracasse malencontreusement le crâne quand elle tente de s'échapper : pure maladresse, certes, mais moins de circonstances atténuantes que de Villepin. Tertio, le chef, sous les yeux d'un El Casper excédé, s'apprête à violer (c'est un malade, ce type, la castration chimique lui ferait que dalle) une gentille jeune fille qui n'avait vraiment rien demandé - ils sont alors sur un train dont le toit est bondé d'immigrés clandestins qui traversent le Mexique pour se rendre jusqu'aux States. El Casper craque et lui met un coup de coutelas dont même Chabal ne se remettrait pas. Sur le coup, ça défoule, sans aucun doute, mais une fois que tu as les 345768 membres du gang à tes trousses, tu te rends compte que tu aurais peut-être dû tourner deux fois le coutelas dans ta poche avant d'en faire usage. Certes, il a gagné la confiance de la jeune fille, qui coup de bol, tente aussi d'échapper à son destin; mais si la ligne d'horizon est sombre - comment parvenir aux USA -, derrière toi c'est un enfer peuplé par tous les non diplômés de la famille Sarkozy - des individus ultra revanchards. Le thriller est lancé, on comprend rapidement la règle du jeu : El Casper a le monde contre lui, il doit fuir ou mourir - ou mourir (ouais, j'insiste).
Fukunaga parvient avec une belle finesse à nous montrer les liens qui se tissent entre ces deux individus désormais pareillement déracinés (El Casper et la jeune fille non violée) sans jamais tomber dans le cliché de l'histoire d'amour à l'eau de rose : malgré les différences, en apparence, (lui, le tueur, elle la fille vierge en émotion qui vient tout juste de quitter son Honduras natal), les deux savent faire preuve d'une émouvante empathie pour comprendre toute la détresse ou la part d'humanité qui résident en l'autre. Pas de pathos, ni de baisers fougueux pour pimenter le récit, juste le récit d'une histoire faite de confiance : une "alliance" de hasard, en quelque sorte, pour tenter, ensemble, d'aller de "l'autre côté" (les deux y parviendront d'une certaine façon si on veut jouer sur les mots). Le côté "cercle vicieux" du gang - le gamin "innocent", qu'El Casper prend sous son aile, devient son pire ennemi - est peut-être un peu trop appuyé, mais ce film, sans être non plus d'une originalité ébouriffante, demeure relativement efficace de bout en bout; il nous fait, qui plus est, pénétrer de manière saisissante à la fois dans le monde glauque des gangs mais aussi dans celui tout aussi dangereux et désespéré des clandestins. De là à se faire tatouer sous l'émotion - disons, par exemple, son propre numéro de téléphone, pour être pratique - non. (Shang - 24/10/09)
Rien à dire sur le résumé poilant de mon copain Shang, et rien à dire non plus sur la relative sobriété de la narration : c'est vrai que Sin Nombre évite pas mal d'écueils, et préfère se concentrer sur son aspect quasi-documentaire que sur son scénario. Du coup, on suit avec pas mal d'intérêt les aventures de ce petit couple croquignolet, en sachant gré à Fukunaga de ne pas charger la mule au niveau grands sentiments. La relation entre les deux, perdue d'avance, n'est pas traitée en mélodrame, mais abordée simplement et sèchement pa le scénario : on n'est pas dans Slumdog Millionaire, et le film sait vraiment rendre compte de la brutalité un peu ridicule de ces guerres de gangs pleines de codes à la con et de déguisements obscurs. Très documenté visiblement, la chose force le respect par son absence de glamour du point de vue de l'écriture. Pas d'échappatoire possible : le clandestin mexicain a une espérance de vie limitée, et Fukunaga ne cherche pas à faire de ses personnages autre chose que ce qu'ils sont : de la chair à canon condamnée d'avance.
Pourquoi donc, alors qu'il trouve une certaine sobriété dans son scénario, Fukunaga met-il son point d'honneur à charger son esthétique jusqu'à l'écoeurement ? Des images sur-colorées à base de filtres pétards (à ce point-là, on peut même parler d'intercalaires), une imagerie pompière qui tend à rendre beaux même les paysages les plus crades, quelques plans "Connaissance du Monde" complètement inutiles : on est dans une esthétique à la Walter Salles, qui ne sait jamais regarder le monde tel qu'il est, mais se croit obligé de le rendre glamour. La photo de Sin Nombre dément son sujet, et du coup les efforts de réalisme sont anéantis par ces bôôôô plans trop léchés. C'est bien dommage, puisque ça plonge le film dans le lot des 14522 oeuvres frileuses qui n'osent pas aller jusqu'au bout de leur projet, et qui croient que faire du cinéma c'est faire des jolies images. En restant au ras de ses quartiers miséreux, en filmant la violence comme elle est (c'est-à-dire laide), en ne cachant pas l'indigence de ses paysages sous des tonnes de maquillage, Fukunaga aurait bien mieux atteint son but qu'en s'arrêtant ainsi à mi-chemin de ses ambitions. Décent, intéressant, mais menteur. (Gols - 08/11/09)